Lavinia | Page 9

George Sand
pour supporter l'entrevue avec toutes les apparences de la dignit��.
A d��faut de phrase convenable, il tira de son sein un paquet soigneusement cachet��, et, le d��posant sur la table:
?Madame, lui dit-il d'une voix assur��e, vous voyez que j'ai ob��i en esclave; puis-je croire, qu'�� compter de ce jour, ma libert�� me sera rendue?
--Il me semble, lui r��pondit Lavinia avec une expression de gaiet�� m��lancolique, que, jusqu'ici, votre libert�� n'a pas ��t�� trop encha?n��e, sir Lionel! En v��rit��, seriez-vous rest�� tout ce temps dans mes fers? J'avoue que je ne m'en ��tais pas flatt��e.
--Oh! Madame, au nom du ciel, ne raillons pas! N'est-ce pas un triste moment que celui-ci?
--C'est une vieille tradition, r��pondit-elle, un d��no?ment convenu, une situation in��vitable dans toutes les histoires d'amour. Et, si, lorsqu'on s'��crit, on ��tait p��n��tr�� de la n��cessit�� future de s'arracher mutuellement ses lettres avec m��fiance.... Mais on n'y songe point. A vingt ans, on ��crit avec la profonde s��curit�� d'avoir ��chang�� des serments ��ternels: on sourit de piti�� en songeant �� ces vulgaires r��sultats de toutes les passions qui s'��teignent; on a l'orgueil de croire que, seul entre tous, on servira d'exception �� cette grande loi de la fragilit�� humaine! Noble erreur, heureuse fatuit�� d'o�� naissent la grandeur et les illusions de la jeunesse! n'est-ce pas, Lionel??
Lionel restait muet et stup��fait. Ce langage tristement philosophique, quoique bien naturel dans la bouche de Lavinia, lui semblait un monstrueux contre-sens, car il ne l'avait jamais vue ainsi: il l'avait vue, faible enfant, se livrer aveugl��ment �� toutes les erreurs de la vie, s'abandonner confiante �� tous les orages de la passion; et, lorsqu'il l'avait laiss��e bris��e de douleur, il l'avait entendue encore protester d'une fid��lit�� ��ternelle �� l'auteur de son d��sespoir.
Mais la voir ainsi prononcer l'arr��t de mort sur toutes les illusions du pass��, c'��tait une chose p��nible et effrayante. Cette femme qui se survivait �� elle-m��me, et qui ne craignait pas de faire l'oraison fun��bre de sa vie, c'��tait un spectacle profond��ment triste, et que Lionel ne put contempler sans douleur. Il ne trouva rien �� r��pondre. Il savait bien mieux que personne tout ce qui pouvait ��tre dit en pareil cas; mais il n'avait pas le courage d'aider Lavinia �� se suicider.
Comme, dans son trouble, il froissait le paquet de lettres dans ses mains:
?Vous me connaissez assez, lui dit-elle; je devrais dire que vous vous souvenez encore assez de moi, pour ��tre bien s?r que je ne r��clame ces gages d'une ancienne affection par aucun de ces motifs de prudence dont les femmes s'avisent quand elles n'aiment plus. Si vous aviez un tel soup?on, il suffirait, pour me justifier, de rappeler que, depuis dix ans, ces gages sont rest��s entre vos mains, sans que j'aie song�� �� vous les retirer. Je ne m'y serais jamais d��termin��e si le repos d'une autre femme n'��tait compromis par l'existence de ces papiers....?
Lionel regarda fixement Lavinia, attentif au moindre signe d'amertume ou de chagrin que la pens��e de Margaret Ellis ferait na?tre en elle; mais il lui fut impossible de trouver la plus l��g��re alt��ration dans son regard ou dans sa voix. Lavinia semblait ��tre invuln��rable d��sormais.
?Cette femme s'est-elle chang��e en diamant ou en glace?? se demanda-t-il.
?Vous ��tes g��n��reuse, lui dit-il avec un m��lange de reconnaissance et d'ironie, si c'est l�� votre unique motif.
--Quel autre pourrais-je avoir, sir Lionel? Vous plairait-il de me le dire?
--Je pourrais pr��sumer, Madame, si j'avais envie de nier votre g��n��rosit�� (ce qu'�� Dieu ne plaise!), que des motifs personnels vous font d��sirer de rentrer dans la possession de ces lettres et de ce portrait.
--Ce serait m'y prendre un peu tard, dit Lavinia en riant; �� coup s?r, si je vous disais que j'ai attendu jusqu'�� ce jour pour avoir des motifs personnels (c'est votre expression), vous auriez de grands remords, n'est-ce pas?
--Madame, vous m'embarrassez beaucoup,? dit Lionel; et il pronon?a ces mots avec aisance, car l�� il se retrouvait sur son terrain. Il avait pr��vu des reproches, et il ��tait pr��par�� �� l'attaque; mais il n'eut pas cet avantage; l'ennemi changea de position sur-le-champ.
?Allons, mon cher Lionel, dit-elle en souriant avec un regard plein de bont�� qu'il ne lui connaissait pas encore, lui qui n'avait connu d'elle que la femme passionn��e, ne craignez pas que j'abuse de l'occasion. Avec l'age, la raison m'est venue, et j'ai fort bien compris, depuis longtemps, que vous n'��tiez point coupable envers moi. C'est moi qui le fus envers moi-m��me, envers la soci��t��, envers vous peut-��tre; car, entre deux amants aussi jeunes que nous l'��tions, la femme devrait ��tre le guide de l'homme. Au lieu de l'��garer dans les voies d'une destin��e fausse et impossible, elle devrait le conserver au monde, en l'attirant �� elle. Moi, je n'ai rien su faire �� propos; j'ai ��lev�� mille obstacles dans votre vie; j'ai ��t�� la cause involontaire, mais imprudente, des
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