l'ornementation géométrique et celle qui
dérive d'une imitation des produits de la nature, faune et flore.
Il n'est peuplade si barbare qui ne possède certains éléments d'art, et
c'est une illusion de croire que l'art se développe en raison du degré de
l'état policé qu'aujourd'hui on appelle civilisation.
Un peuple de moeurs très barbares peut posséder, sinon un art très
parfait, des éléments d'art susceptibles d'un grand développement. Et
nous en avons la preuve tous les jours. Ces misérables Thibétains, qui
vivent à l'état quasi sauvage, à notre point de vue européen, façonnent,
cependant ces tissus merveilleux dont, à grand'peine, avec tous nos
moyens de fabrication perfectionnés, nous imitons la composition et
l'harmonie. Les pauvres chaudronniers hindous font avec des
instruments élémentaires ces vases de cuivre repoussé et gravé dont le
galbe et les dessins sont ravissants, et, chose étrange, les éléments de
perfectionnement, qu'à notre point de vue nous apportons à ces artistes
et artisans, ne font qu'altérer et détruire bientôt même leurs facultés
créatrices, soit dans la composition, soit dans l'exécution. Les éléments
d'art et d'industrie européens introduits en Chine et au Japon précipitent
la décadence de l'art chez ces peuples avec une effrayante rapidité.
Il faut donc admettre que, dans un milieu barbare, des éléments d'art
existent parfois et peuvent être assez puissants pour exercer une
influence marquée dans le développement artistique de peuples
relativement civilisés.
Ceci dit, nous devons considérer comment l'ornementation procède.
Les monuments d'art les plus anciens connus dans l'histoire de
l'humanité sont certainement ces os d'animaux sur lesquels sont gravés
des linéaments, monuments qui sont contemporains de l'âge de pierre
primitif et se trouvent avec des débris de mammouths, de rennes et de
l'ours des cavernes.
Jusqu'à présent on n'a découvert ces restes du génie primitif des
humains que dans l'ouest de l'Europe[16] et on ne sait à quelle race les
attribuer. Quoi qu'il en soit, ces gravures reproduisent habituellement
des êtres animés: chevaux, mammouths, rennes, hommes, parfois des
lignes dont on ne peut indiquer la signification, mais point de dessins
géométriques, même rudimentaires.
[Note 16: Musée de Saint-Germain-en-Laye.]
Peut-être des fouilles dirigées avec intelligence dans d'autres parties du
monde feront-elles découvrir des monuments contemporains de ceux-ci
et où apparaîtrait le tracé géométrique.
Mais si on arrive à une époque plus rapprochée de nous, les dessins
géométriques se montrent[17]: cercles, triangles, lignes croisées,
entrelacées, parallèles, spirales.
[Note 17: A l'époque dite de l'âge de bronze.]
Sur les armes de bois, de corne ou d'os appartenant aux races noires les
plus sauvages, aujourd'hui comme jadis--car la plupart de ces races ne
paraissent pas susceptibles de progrès--les dessins géométriques sont
fréquents, et, relativement très supérieurs comme correction aux
grossières imitations des objets naturels.
Si l'on atteint des temps encore plus rapprochés de nous, on peut
constater des faits qui ne manquent pas d'importance.
Pendant que certains peuples conservent l'ornement géométrique en y
mêlant la faune et la flore, comme les Égyptiens, les Sémites en général,
d'autres abandonnent entièrement le tracé géométrique dans
l'ornementation pour se consacrer exclusivement à l'imitation de la
faune et de la flore.
Tels ont été les Grecs pendant l'antiquité, telle a été en Occident,
pendant le moyen âge, l'école française.
Il faut dire que ce sont là des exceptions; car, à toutes les époques de
l'histoire, en Asie et chez les nations où les arts de l'Orient et
sémitiques ont exercé une influence, l'ornementation mêle sans
discontinuité les combinaisons géométriques à l'imitation de la faune et
de la flore, et, même chez les Sémites, le tracé géométrique dans
l'ornementation l'emporte singulièrement sur la flore, puis l'imitation de
la faune fait défaut.
Les Pélasges, les Hellènes, qui, dans l'état primitif de leur civilisation,
ne semblent avoir eu d'autre art que l'art asiatique, où ce mélange entre
le tracé géométrique et l'imitation de la faune et de la flore apparaît dès
l'époque la plus ancienne, surent donc s'affranchir de ces traditions et
furent les premiers peut-être à imiter les productions naturelles à
l'exclusion du tracé géométrique, sans se départir de cette imitation,
mais en la perfectionnant sans cesse.
Quant aux Romains, ils ne firent autre chose que de suivre la voie
ouverte par les Grecs, en abandonnant les éléments étrusques, d'autant
qu'ils n'employaient guère, sous l'empire, que des artistes grecs.
Et cependant, au déclin de l'empire, ces mêmes Grecs, influents sur le
territoire asiatique, abandonnèrent la voie ouverte par leur grande école
hellénique pour revenir aux compositions orientales. Ainsi
apportèrent-ils ces compositions d'art à Byzance, en y mêlant quelques
débris de l'art élevé si haut par eux à l'apogée de leur grandeur.
Un fait inverse se produit en France vers le Xe siècle. L'élément
gallo-romain, qui dominait alors aussi bien dans la structure
architectonique que dans l'ornementation, est étouffé peu à peu sous
l'influence de l'art byzantin, dans le Midi particulièrement, et
scandinave asiatique dans le
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