fort à me voir, avec
mon père, dans les bureaux de M. de Thaller?
Ce qui n'empêche, que peu à peu, il finit par se persuader que ce parti
était le seul raisonnable, le seul pratique, le seul qui lui offrît quelques
chances de fortune. Et un soir, surmontant ses dernières répugnances:
--Je vais en parler à mon père, dit-il à Mlle Lucienne.
Mais soit que véritablement il eût été influencé par la courageuse
révélation de M. Costeclar, soit pour tout autre motif, M. Favoral rejeta
bien loin la requête de son fils, disant qu'il était impossible de confier
un emploi à un garçon qui était en train de gâter son avenir pour une
créature perdue.
Maxence était devenu cramoisi de colère, en entendant traiter ainsi une
femme qu'il aimait éperdûment, et qui bien loin de le perdre, le sauvait.
Il avait essayé de la défendre, mais bien inutilement, et il était revenu à
l'Hôtel des Folies dans un état d'exaspération indescriptible.
--Voilà où a abouti la démarche que vous m'avez conseillée, dit-il à
Mlle Lucienne, après lui avoir raconté ce qui venait de se passer.
Elle n'en parut ni surprise ni irritée.
--C'est bien! répondit-elle simplement.
Mais Maxence ne pouvait prendre si placidement son parti d'une si
cruelle déception, et, à mille lieues de soupçonner M. Costeclar:
--Voilà pourtant, ajouta-t-il, le résultat des cancans de tous ces
boutiquiers stupides, qui, dès que vous sortez en voiture, accourent sur
le seuil de leur porte....
Dédaigneusement la jeune fille haussa les épaules.
--Je l'avais prévu, fit-elle, le jour où j'ai accepté les offres de M.
Van-Klopen.
--Tout le monde vous croit ma maîtresse.
--Que m'importe, puisque ce n'est pas!
Ce que Maxence n'osait avouer, c'est que c'était là précisément ce qui
redoublait sa colère; c'est que songeant à ce terrible «qu'en dira-t-on»,
qui est la boussole des imbéciles et des faibles, il se demandait ce qu'on
penserait de lui, si la vérité venait à être connue, et s'il ne serait pas
couvert de ridicule.
--Nous devrions déménager, reprit-il.
--A quoi bon! Partout où nous irions, ce serait la même chose. Nos
relations offrent trop de prise à la calomnie pour qu'elle nous épargne.
Je tiens à ce quartier, d'ailleurs....
--Et moi je suis trop votre ami pour ne pas vous avouer que vous y êtes
absolument perdue de réputation....
--Je n'ai de comptes à rendre à personne....
--Sauf à votre ami le commissaire de police, cependant.
Un pâle sourire effleura les lèvres de la jeune fille.
--Oh! lui, prononça-t-elle, il sait la vérité.
--Vous l'avez donc revu?
--Plusieurs fois.
--Depuis que nous nous connaissons?
--Oui.
--Et vous ne me l'avez pas dit!
--Je n'ai pas cru que ce fût nécessaire.
Maxence n'insista pas, mais à la douleur aiguë qui le mordit au coeur, il
comprit combien Mlle Lucienne lui était chère.
--Elle a des secrets pour moi, se disait-il, pour moi qui me serais fait un
crime d'en avoir pour elle!
Quels secrets? Lui avait-elle dissimulé qu'elle poursuivait un but qui
était, en quelque sorte, devenu celui de sa vie? Lui avait-elle caché que
soutenue, stimulée et servie par son ami l'officier de paix, devenu le
commissaire de police du quartier, elle espérait pénétrer le mystère de
sa naissance et se venger des misérables qui par trois fois avait essayé
de se défaire d'elle?
Jamais elle n'avait reparlé de ses projets, mais il était évident qu'elle ne
les avait pas abandonnés, car elle eût du même coup renoncé à ses
exhibitions au bois de Boulogne, qui lui étaient un abominable
supplice.
Mais la passion ne raisonne ni ne discute:
--Elle se défie de moi, qui donnerais ma vie pour elle! répétait
Maxence.
Et cette idée lui était si pénible, qu'il résolut de s'en éclaircir coûte que
coûte, préférant le pire malheur à l'angoisse qui le déchirait.
Et dès qu'il se retrouva seul avec Mlle Lucienne, s'armant de tout ce
qu'il avait de courage, et la regardant bien dans les yeux:
--Vous ne me parlez plus de vos ennemis? lui dit-il d'un ton brusque.
Elle dut deviner ce qui se passait en lui, et doucement:
--C'est que je n'en entends plus parler moi-même, répondit-elle, c'est
qu'ils ne donnent plus signe de vie....
--Alors vous avez renoncé à vos desseins?
--Aucunement.
--Quelles sont donc vos espérances, et où en sont-elles?
--Si extraordinaire que cela doive vous paraître, je vous avouerai que je
n'en sais rien. Mon ami le commissaire de police a son plan, j'en suis
sûre, et il le poursuit avec une obstination que rien ne lasse, mais il ne
me l'a pas confié. Je ne suis entre ses mains qu'un instrument docile.
Jamais je ne prends une détermination sans le consulter, et ce qu'il me
dit de faire, je le fais.
Maxence tressauta sur sa chaise.
--Est-ce donc lui, fit-il d'un accent d'amère ironie, qui
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