aux oreilles d'une demoiselle, mais on est un homme
soigneux, on conserve les factures acquittées...
--Eh! Monsieur, je vous ai déjà dit que je ne perdais pas mon mari de
vue...
--Naturellement.
--Chaque matin, à neuf heures précises, il sortait d'ici pour se rendre
chez M. de Thaller.
--Tout le quartier le sait, madame.
--A cinq heures et demie il rentrait.
--C'est encore bien connu.
--Le soir, après son dîner, il allait faire une partie, mais c'était son
unique distraction, et toujours à onze heures il était couché.
--Parfaitement exact.
--Eh bien! alors, monsieur, où donc M. Favoral eût-il pris le temps de
s'abandonner aux désordres dont vous l'accusez?
Imperceptiblement le commissaire de police haussait les épaules.
--Loin de moi, madame, prononça-t-il, la pensée de suspecter votre
bonne foi. Qu'importe d'ailleurs que votre mari ait dépensé à ceci ou à
cela, les sommes qu'on l'accuse d'avoir détournées! Mais que prouvent
vos objections? Simplement que M. Favoral était très-habile et très
maître de soi. Avait-il déjeuné, quand il vous quittait à neuf heures?
Non. Où donc, je vous prie, déjeunait-il? Au restaurant? Auquel?
Pourquoi ne rentrait-il qu'à cinq heures et demie, puisque son travail ne
le retenait à son bureau que jusqu'à trois heures? Est-ce bien au café
Turc qu'il allait tous les soirs? Enfin pourquoi ne me parlez-vous pas
des travaux extraordinaires qui lui survenaient, à ce qu'il prétendait, une
ou deux fois par mois? Tantôt c'était un emprunt, tantôt une liquidation
ou une répartition de dividendes, dont il était chargé. Rentrait-il alors?
Non. Il vous disait qu'il dînerait dehors, et qu'il lui serait plus commode
de se faire dresser un lit dans son bureau, et vous étiez vingt-quatre ou
quarante-huit heures sans le voir. Assurément cette double existence
devait lui peser lourdement; mais il lui était défendu de rompre avec
vous, sous peine d'être, le lendemain, pris la main dans le sac. C'est
l'honorabilité de sa vie officielle, ici, qui lui permettait l'autre, celle que
vous ne connaissez pas et qui a dévoré des sommes énormes. Plus il
était ici âpre et dur, plus il pouvait ailleurs se montrer magnifique. Son
ménage de la rue Saint-Gilles lui était un brevet d'impunité. Le voyant
si économe on le croyait riche. On ne se défie pas des gens qui
semblent ne rien dépenser. Chacune des privations qu'il vous imposait
augmentait son renom de probité austère et l'élevait au-dessus du
soupçon...
De grosses larmes roulaient le long des joues de Mme Favoral.
--Pourquoi ne pas me dire toute la vérité? balbutia-elle.
--Parce que je l'ignore, madame, répondit le commissaire, parce que ce
ne sont là que des présomptions... J'ai vu bien des exemples de
semblables calculs...
Et regrettant peut-être de s'être tant avancé:
--Mais je puis me tromper, ajouta-t-il, je n'ai pas la prétention d'être
infaillible...
Il achevait alors l'inventaire sommaire de toutes les paperasses que
contenait le bureau. Il ne lui restait plus qu'à examiner le tiroir qui
servait de caisse. Il s'y trouvait en or, en petites coupures et en menue
monnaie, sept cent dix-huit francs.
Ayant compté cette somme, le commissaire la tendit à Mme Favoral en
disant:
--Ceci vous revient, madame...
Mais instinctivement elle retira la main.
--Jamais! fit-elle.
Le commissaire eut un geste bienveillant.
--Je comprends votre scrupule, madame, dit-il, et cependant j'insisterai.
Vous pouvez me croire, lorsque je vous dis que cette petite somme
vous appartient bien légitimement. Vous n'avez pas de fortune
personnelle...
L'effort que faisait la pauvre femme, pour ne pas éclater en sanglots,
n'était que trop visible.
--Je ne possède rien au monde, monsieur, répondit-elle d'une voix
entrecoupée... Mon mari seul s'occupait de nos affaires, il ne m'en disait
rien et je n'aurais pas osé le questionner... Seul, il disposait de l'argent...
Tous les dimanches, il me remettait ce qu'il jugeait nécessaire pour les
dépenses de la semaine et je lui en rendais compte... Quand mes enfants
ou moi avions besoin de quelque chose, je le lui disais, et il me donnait
ce qu'il croyait utile... Nous sommes aujourd'hui samedi; de ce que j'ai
reçu dimanche dernier, il me reste cinq francs... c'est toute notre
fortune...
Positivement le commissaire était ému.
--Vous voyez donc bien, madame, fit-il, que vous ne devez pas hésiter...
Il faut vivre...
Maxence s'avança.
--Ne suis-je pas là, monsieur? interrompit-il.
Le commissaire le regarda finement, et d'un ton grave:
--Je crois, en effet, monsieur, répondit-il, que vous ne laisserez
manquer de rien votre mère ni votre soeur... Mais ce n'est pas du jour
au lendemain qu'on se crée des ressources... Les vôtres, si on ne m'a pas
trompé, sont plus que bornées, en ce moment...
Et comme le jeune homme rougissait et ne répondait pas, il remit les
sept cents francs à Mlle Gilberte, en disant:
--Prenez, mademoiselle, votre mère vous le permet.
Sa besogne était achevée. Apposer les scellés sur le
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.