Largent des autres

Emile Gaboriau
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L'argent des autres

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Title: L'argent des autres I. Les hommes de paille
Author: Emile Gaboriau
Release Date: March 15, 2004 [EBook #11588] [Date last updated:
December 10, 2004]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
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DES AUTRES ***

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[Note du transcripteur: Ce texte utilise l'orthographe du XIXe siècle:
siège = siége, complètement = complétement, etc.]
L'ARGENT DES AUTRES
PAR ÉMILE GABORIAU
I LES HOMMES DE PAILLE

I
Vainement on chercherait dans Paris une rue plus paisible que la rue
Saint-Gilles, au Marais, à deux pas de la place Royale.
Là, pas de voitures, jamais de foule. A peine le silence y est rompu par
les sonneries réglementaires de la caserne des Minimes, par les cloches
de l'église Saint-Louis ou par les clameurs joyeuses des élèves de
l'institution Massin à l'heure des récréations.
Le soir, bien avant dix heures, et quand le boulevard Beaumarchais est
encore plein de vie, de mouvement et de bruit, tout se ferme. Une à une
s'éteignent les grandes fenêtres à tout petits carreaux. Et si, passé
minuit, quelque bourgeois regagne son logis, il hâte le pas, inquiet de la
solitude et préoccupé des reproches de son concierge qui lui demandera
d'où il peut bien revenir si tard.
En une telle rue, tout le monde se connaît, les maisons n'ont pas de
mystère, les familles pas de secrets.
C'est la petite ville, où l'oisiveté curieuse a toujours un coin de son
rideau sournoisement relevé, où les cancans poussent aussi dru que
l'herbe entre les pavés.
Aussi, le 27 avril 1872, un samedi, dans l'après-midi, remarqua-t-on rue
Saint-Gilles, un fait qui partout ailleurs eût passé inaperçu.
Un homme d'une trentaine d'années, portant la livrée de travail des

serviteurs de bonne maison, le long gilet rayé et le tablier à pièce, s'en
allait de porte en porte...
--Qui donc cherche ce domestique? se demandaient les rentières
désoeuvrées, tout en suivant ses évolutions.
Il ne cherchait personne. Aux gens qu'il abordait, il racontait qu'il était
envoyé par une cousine à lui, excellente cuisinière, laquelle, avant
d'entrer en place chez des bourgeois du quartier, tenait comme de juste
à prendre ses renseignements. Et cela dit:
--Connaissez-vous, interrogeait-il, M. Vincent Favoral?
Concierges et boutiquiers ne connaissaient que lui, car il y avait plus
d'un quart de siècle qu'au lendemain de son mariage, M. Vincent
Favoral était venu s'installer rue Saint-Gilles, et ses deux enfants y
étaient nés: son fils, M. Maxence, et sa fille, Mlle Gilberte.
Il occupait le second étage de la maison qui porte le numéro 38, une de
ces bonnes vieilles maisons comme on n'en bâtit plus, depuis que les
terrains se vendent quinze cents francs le mètre, où l'espace n'est pas
sordidement mesuré, où les escaliers à rampe de fer forgé sont larges et
faciles, où les pièces sont spacieuses, et les plafonds hauts de douze
pieds.
--Certes, nous connaissons M. Favoral, répondaient les gens que
questionnait le domestique, et si jamais honnête homme a existé, c'est
certainement lui. En voilà un auquel on aurait du plaisir à confier ses
fonds, si on en avait. Ce n'est pas lui qui jamais filera en Belgique en
emportant sa caisse.
Et ils expliquaient que M. Favoral était caissier principal et même
probablement un des gros actionnaires du _Comptoir de crédit mutuel_,
une de ces admirables institutions financières qui ont surgi avec le
second Empire et qui gagnaient à la Bourse leur premier banco le jour
où se jouait dans la rue la partie du coup d'État.
--Oh! je sais la profession du bourgeois, disait le domestique. Mais quel

espèce d'homme est-ce? Voilà ce que ma cousine voudrait savoir.
Le marchand de vins du 43, le plus ancien boutiquier de la rue, était
mieux que personne à même de répondre. Deux petits verres civilement
offerts lui délièrent la langue, et tout en trinquant:
--M. Vincent Favoral, commença-t-il, est un homme de cinquante-deux
ou trois ans, mais qui paraît plus jeune, car il n'a pas un poil blanc.
C'est un grand maigre, avec des favoris bien taillés, la bouche pincée et
des petits yeux jaunes. Pas causeur. Il faut plus de cérémonies pour tirer
une parole de son gosier qu'un écu de sa caisse. Oui, non, bonjour,
bonsoir, voilà toute
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