des reproches:
?O Mansour, celui qui prend Satan pour compagnon choisit un mauvais voisin de route?, ou bien: ?Un jour viendra où l'opprobre s'étendra comme une tente au-dessus de ta tête.?
Enflé d'orgueil ainsi qu'Eblis le Maudit[2], il répondait: ?Je lèverai la tête et je crèverai l'opprobre, car je ne suis pas de ceux qui courbent le front.?
[Note 2: Le diable.]
Alors ils lui disaient: ?Prends garde! Il sera trop tard quand tu crieras: Je me repens. Implorerais-tu le pardon soixante-dix fois, comme il est écrit dans le Livre; invoquerais-tu Dieu par ses quatre-vingt-dix-neuf noms, ce sera trop tard.?
Et ils ajoutaient: ?Souviens-toi des paroles du Prophète: ?Ame pour ame, oeil pour oeil, nez pour nez, oreille pour oreille, dent pour dent.? La justice du talion est la saine justice.?
Mais il répondait, en riant: ?Dieu seul conna?t demain!?
Sous les tentes du Beled-el-Djerid[3] comme sous les toits des Ksours, on raconte bien des aventures de sa jeunesse et je veux te dire la première, parce qu'elle influa sur toute sa vie.
[Note 3: Pays des dattes.]
O Dieu! ?te le regard du méchant de ses yeux, ?te lui la langue des lèvres; taille-le entre les jambes pour qu'il ne puisse engendrer des méchants comme lui. Mais pour celui qui a expié avant l'heure, sois plein de miséricorde!
III
Il avait à peine seize ans, et déjà il savait habiller le mensonge de la robe de la vérité. C'est dire qu'il était homme. Et comme il avait de l'audace et que les filles des tribus le trouvaient beau, il profitait de ces avantages pour semer le désordre. Il se glissait entre les coeurs et les séparait.
Longtemps on ignora ses intrigues, car il fut assez habile pour les tenir secrètes: seulement de vagues soup?ons planaient.
C'est sur ces entrefaites que son père, Ahmed-ben-Rahan, cheik aux Ouled-Ascars, fraction des Ouled-Sidi-Abid, prit sa quatrième épouse.
La deuxième et la troisième étaient mortes depuis plus d'un an, et la première, la mère de Mansour, restée seule, avait dit au cheik:
--Seigneur, je suis fatiguée; je me fais vieille car j'ai bient?t trente-cinq ans et depuis vingt je te sers, fidèle, laborieuse et soumise; je t'ai toujours gardé précieusement ce que Dieu ordonne à la femme de garder à son époux et tu n'eus jamais contre moi un sujet de plainte.
Dieu a béni ma couche, car je t'ai donné pour fils le plus beau et le plus fier gar?on des Ouled-Ascars. Maintenant, voici: j'ai besoin de repos. Je serai toujours ta servante et ton épouse. Mais je te prie, prends-en une autre qui m'aide à aplanir ta vie. Prends-la belle, pour qu'elle réjouisse ta vue; jeune et forte, pour qu'elle puisse longtemps te servir.
Et le cheik choisit une toute jeune fille du pays des Beni-Mzab aux plaines sablonneuses, qui n'avait pas encore vu quatorze fois fleurir les palmiers. Ses lèvres avaient la couleur des grenades rouges et ses yeux le reflet des lames des yatagans tirés au soleil.
Elle s'appelait Meryem.
IV
Dès qu'il vit cette douce étoile briller sous la tente paternelle, Mansour sentit son coeur s'amollir; et quand pour la première fois elle laissa tomber devant lui le voile de sa face, il crut contempler une des houris que le Prophète promet aux élus.
Il sortit tout agité de la tente et s'en alla, marchant sans savoir où. Il voulait cacher à tous son trouble, car il craignait qu'on ne l?t sur son front les pensées qui l'agitaient.
Le lendemain, il dit à Kradidja, sa mère:
--Mère, il faut que je parte d'ici.
--Pourquoi? tu ne peux quitter la tente au moment où vient d'entrer une h?tesse nouvelle. Les noces ne sont pas finies et tu parles de partir? Veux-tu donc irriter ton père, qui supposera que l'étrangère s'est attiré ta malveillance?
--Qui pourrait croire une telle chose! Oh! plut à Dieu, ma mère, que tu me trouves une pareille épouse.
--Je te trouverai mieux, dit-elle.
Mais il secoua la tête.
Alors elle le regarda attentivement. Ce fils, elle l'aimait et l'admirait; c'était sa joie et son orgueil et elle avait pour lui toutes les coupables faiblesses des mères.
Déjà plus d'une fois, elle avait entendu quelques propos des équipées de Mansour, lorsque les femmes vont à la fontaine et se racontent les choses que les maris doivent ignorer; elle écoutait les récits et les plaintes et souriait.
Elle pensait dans son maternel égo?sme:
--Qu'il n'arrive rien de facheux à l'enfant; les autres, c'est leur affaire. Dieu veille sur tous; chacun veille sur soi.
Et jamais à son fils elle n'adressa un reproche; jamais elle ne dit au père: ?Ton a?né suit une mauvaise voie.?
Mais cette fois, elle eut peur et, prenant la tête du jeune homme dans ses mains, l'attira sous ses lèvres:
--Enfant, oui, je le vois, il faut que tu partes. Tu iras t'asseoir sous la tente de mon frère, le ca?d Abdallah; il t'inscrira au nombre des cavaliers de son goum et s'il pla?t à Dieu, tu reviendras
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