donc irriter ton père, qui supposera que l'étrangère s'est attiré
ta malveillance?
--Qui pourrait croire une telle chose! Oh! plut à Dieu, ma mère, que tu
me trouves une pareille épouse.
--Je te trouverai mieux, dit-elle.
Mais il secoua la tête.
Alors elle le regarda attentivement. Ce fils, elle l'aimait et l'admirait;
c'était sa joie et son orgueil et elle avait pour lui toutes les coupables
faiblesses des mères.
Déjà plus d'une fois, elle avait entendu quelques propos des équipées de
Mansour, lorsque les femmes vont à la fontaine et se racontent les
choses que les maris doivent ignorer; elle écoutait les récits et les
plaintes et souriait.
Elle pensait dans son maternel égoïsme:
--Qu'il n'arrive rien de fâcheux à l'enfant; les autres, c'est leur affaire.
Dieu veille sur tous; chacun veille sur soi.
Et jamais à son fils elle n'adressa un reproche; jamais elle ne dit au père:
«Ton aîné suit une mauvaise voie.»
Mais cette fois, elle eut peur et, prenant la tête du jeune homme dans
ses mains, l'attira sous ses lèvres:
--Enfant, oui, je le vois, il faut que tu partes. Tu iras t'asseoir sous la
tente de mon frère, le caïd Abdallah; il t'inscrira au nombre des
cavaliers de son goum et s'il plaît à Dieu, tu reviendras avec une épouse.
Ce jour même, j'en parlerai à Ahmet; en attendant, veille sur toi, veille
sur tes actes et sur tes regards. Le Prophète a dit: «Ne prenez pas les
femmes qui ont été les épouses de vos frères, c'est une turpitude.» Mais
il n'a pas parlé de celui qui volerait l'épouse de son père, tant est grande
l'abomination.
Mansour troublé et confus voulut se récrier; alors Kradidja mit un doigt
sur ses lèvres et répéta:
--Une abomination!
V
Mais quand Kradidja parla d'éloigner Mansour, le cheik répondit qu'il
ne consentirait pas, à l'heure présente, de se séparer de l'aîné de ses fils.
Il en avait besoin pour surveiller ses troupeaux et surtout pour la
moisson prochaine. La femme n'osa pas insister et Mansour resta sous
la tente.
En apprenant la décision du cheik, il ne put éteindre l'éclair qui alluma
son regard.
--O pervers, lui dit sa mère, à quoi penses-tu?
--Je pense que dans toutes les tribus du Souf, il n'en est pas de plus folle
que toi. Que vas-tu imaginer? Et en supposant que ce que tu imagines
soit réel, est-ce que jamais Meryem consentirait?
--La femme est comme le jonc qui croît au bord des sources, répondit
Kradidja; elle se plie aux caprices de celui qui la tient.
--Je ne la tiens pas, puisqu'elle est à mon père.
--La femme n'a qu'un coeur, et son coeur n'est qu'à celui qui sait le
prendre.... Paix! enfant, et veille sur toi.
Mais ces paroles, loin de l'effrayer, semblaient un encouragement. Il en
est ainsi qui, par leur criminelle complaisance, poussent leurs fils à
toutes les folies.
Quoi qu'il en fut, lorsqu'un matin le cheik s'éloignait de la tente, il s'y
glissait sans bruit et, caché derrière les hamals de grains qui
contiennent la provision de l'année pour les gens et les bêtes, immobile
et silencieux, il feignait de dormir. Mais il regardait Meryem à travers
les interstices et les ouvertures, et parfois même, s'enhardissant, il
soulevait du doigt le bas du tag bariolé qui divise en deux les maisons
de poil et assistait, invisible, à la toilette de la nouvelle épousée.
Elle avait la peau brune aux reflets dorés et de grands cheveux noirs
ondoyant jusqu'au bas des reins. Il y plongeait ses regards et noyait ses
pensées en une mer de désirs, tandis que les capiteuses odeurs,
particulières aux brunes, mélangées aux parfums de la rose et du musc
troublaient son cerveau. Il comprenait alors qu'il n'aurait plus la force
de rien respecter et se levait sans bruit, courant rejoindre ses troupeaux
dans la plaine, croyant respirer encore, bien qu'il fut loin, les senteurs
enivrantes et laissant son âme attachée où s'étaient attachés ses yeux.
VI
Il n'allait plus attendre les femmes, quand elles vont chercher les
branches sèches des genêts et du chich ou la provision d'eau dans les
peaux de bouc noires; on ne le voyait plus, comme autrefois, diriger
son troupeau du côté de la rivière à l'heure où, demi-nues, elles font la
grande ablution.
Alors les jeunes filles rougissaient et chuchotaient entre elles,
lorsqu'elles apercevaient tout à coup près d'une touffe de lauriers roses
les yeux ardents du fils du cheik.
Quelques-unes, feignant de ne pas le voir, continuaient l'aspersion des
flancs, tandis que les plus modestes se relevaient vivement en baissant
leur gandourah, effrayées et honteuses. Mais les vieilles, entraient dans
de grandes colères et criaient:
--Que regardes-tu, enfant du mal?
--Pas vous, ripostait-il. Vous pouvez vous laver sans crainte.
--Va, va; tu te laverais pendant l'éternité que tu
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