sa future femme de charge.
--Mais sa grace et sa bonté, c'est tout ce que je me rappelle. La mémoire est fugitive, et le souvenir est quelquefois comme un rêve à demi effacé. Je ne sais ce que vous pensez à ce sujet, Madame Goldstraw, mais c'est mon sentiment à moi.
Il est probable que c'était aussi le sentiment de Madame Goldstraw, car elle répondit par un signe d'assentiment. Wilding lui offrit de la mettre lui-même en communication immédiate avec le gentleman dont elle lui avait remis la carte; c'était un homme d'affaires qui habitait Doctor's Commons. Madame Goldstraw lui en témoigna sa reconnaissance, et comme Doctor's Commons n'était pas fort éloigné, Wilding la pria de repasser au bout de trois heures.
Les renseignements furent excellents. Wilding gagea donc Madame Goldstraw cette même après-midi. Elle devait entrer le lendemain et s'installer en qualité de femme de charge au Carrefour des écloppés.
La femme de charge parle.
Madame Goldstraw s'installa sans bruit dans la chambre qui lui avait été assignée; elle n'était point femme à déranger les domestiques, et, sans perdre de temps, elle se fit annoncer chez son nouveau ma?tre pour lui demander ses instructions. Wilding la re?ut dans la salle à manger, comme la veille. Ce fut là qu'après avoir échangé les civilités d'usage, ils s'assirent tous les deux pour tenir conseil sur les affaires de la maison.
--En ce qui concerne les repas, monsieur,--dit Madame Goldstraw,--aurai-je à m'en occuper pour un grand nombre de personnes ou pour vous seulement?
--Si je puis mettre à exécution un vieux projet que j'ai m?ri,--répliqua Wilding,--vous aurez beaucoup de monde à table. Je suis gar?on, Madame Goldstraw, et je désire vivre avec toutes les personnes que j'emploie comme si elles étaient de ma famille. Jusqu'à ce que ce projet s'accomplisse, vous n'aurez à songer qu'à moi et à mon nouvel associé; je ne puis vous renseigner sur ce point quant à ce qui le concerne; mais, pour moi, je puis bien me donner à vous comme un homme d'habitudes régulières et d'un appétit invariable....
--Et les déjeuners?--interrompit Madame Goldstraw,--y a-t-il quelque chose de particulier, monsieur, pour vos déjeuners?
Elle s'interrompit elle-même et laissa sa phrase inachevée. Ses yeux se détournaient de son ma?tre et se dirigeaient vers la cheminée et vers ce portrait de femme.... Si Wilding n'e?t pas tenu désormais pour certain que Madame Goldstraw était une personne expérimentée et sérieuse, il e?t pu croire que ses pensées s'égaraient un peu depuis le commencement de cet entretien.
--Je déjeune à huit heures,--dit-il;--j'ai une vertu et un vice: jamais je ne me fatigue de lard grillé et je suis extrêmement difficile quant à la fra?cheur des oeufs.
Le regard de Madame Goldstraw se reporta enfin vers lui, mais à défaut de son regard, l'esprit de la femme de charge était encore partagé entre son ma?tre et le portrait....
--Je prends du thé,--continua Wilding,--et peut-être suis-je un peu nerveux et enclin à l'impatience lorsque je le prends trop longtemps après qu'il a été fait.... Si mon thé....
Ce fut à son tour de s'arrêter tout net et de ne point achever sa phrase. S'il n'avait pas été engagé dans la discussion d'un sujet aussi intéressant que celui-là, Madame Goldstraw, en vérité, aurait pu croire que ses pensées, à lui aussi, commen?aient à s'égarer.
--Si votre thé attend, monsieur...,--reprit-elle, renouant poliment le fil perdu de ce bizarre entretien.
--Si mon thé?...--répéta machinalement Wilding; il s'éloignait de plus en plus de son déjeuner; ses yeux se fixaient avec une curiosité croissante sur le visage de sa femme de charge.--Si mon thé!... Mon Dieu, Madame Goldstraw, quels sont donc ces allures et ce son de voix que j'ai connus et que vous me rappelez? Ce souvenir me frappe aujourd'hui plus fortement encore que la première fois que je vous ai vue. Quel peut-il être?
--Quel peut-il être?...--répéta Madame Goldstraw.
Ces derniers mots, elle les avait dits de l'air d'une personne qui songeait à tout autre chose. Wilding, qui ne cessait point de l'examiner, remarqua que ses yeux erraient sans cesse du c?té de la cheminée. Il les vit se fixer sur le portrait de sa mère. En même temps les sourcils de Madame Goldstraw se contractèrent légèrement comme si elle faisait à cet instant un effort de mémoire dont elle avait à peine conscience.
--Feu ma pauvre chère mère,--lui dit-il,--quand elle avait vingt-cinq ans.
Madame Goldstraw le remercia d'un geste, pour la peine qu'il venait de prendre en lui nommant l'original de cette peinture. Son visage aussit?t se rasséréna. Elle ajouta poliment que ce portrait était celui d'une bien jolie dame.
Wilding ne lui répondit pas. Il était déjà retombé dans cette perplexité qui le tourmentait depuis une heure et dont il ne pouvait plus se défendre. Encore une fois il tenta de rassembler sa mémoire. Où donc avait-il vu cet air de figure, où donc avait-il entendu ce son de voix que Madame Goldstraw lui
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