pénétrèrent. Un rayon s'en vint jouer sur un portrait de femme suspendu au-dessus de la cheminée et qui composait, avec le portrait de Pebblesson l'oncle, la seule décoration de la salle à manger de Wilding.
Wilding contemplait cette peinture.
--Ma mère à vingt-cinq ans,--se disait-il.
Et ses yeux suivaient avec ravissement ce rayon béni.... Il pensait qu'il avait accroché là cette toile afin que les visiteurs pussent admirer sa mère dans tout l'éclat de sa jeunesse et de sa beauté. Quant à un autre portrait qui avait été fait de la morte, alors qu'elle avait cinquante ans, il l'avait mis dans sa chambre à coucher comme un souvenir avec lequel il voulait toujours vivre....
--Quoi! c'est vous, Jarvis,--dit-il.
Ces mots s'adressaient à un de ses commis qui venait de passer la tête par la porte entre-baillée.
--Oui,--répliqua Jarvis,--je voulais seulement vous dire, monsieur, qu'il va être dix heures et que plusieurs femmes attendent dans le bureau.
--Mon Dieu!--s'écria Wilding, qui rougit et qui palit en même temps,--sont-elles vraiment plusieurs?... J'aurais mieux fait de les faire introduire quand il n'y en avait qu'une ou deux. Je les recevrai donc, chacune à son tour, Jarvis, dans l'ordre de leur arrivée.
Ce disant, il se retrancha derrière la table, s'enfon?a bien dans son fauteuil, et mit devant lui un grand encrier, puis il donna l'ordre d'introduire les postulantes.
Il lui arriva ce qui doit arriver en semblable circonstance à tout célibataire connu pour être à son aise. Wilding vit défiler devant lui l'espèce ordinaire des femmes répugnantes et l'ordinaire espèce des femmes trop sympathiques. La première qui se présenta fut la veuve d'un boucanier déterminée à s'emparer de lui quand même; elle étreignait son parapluie sous son bras comme si elle se f?t imaginée que ce parapluie était Walter Wilding lui-même et qu'elle le tenait déjà dans ses serres. Vinrent ensuite plusieurs de ces vieilles filles qui ?ont vu de meilleurs jours? et qui arrivent armées de certificats cléricaux attestant que la théologie ne leur est point étrangère; puis ce fut le tour des demoiselles, qui s'offraient à Wilding pour l'épouser sans fa?on. Il vint encore des femmes de charge de profession, aux allures militaires, qui lui firent subir un interrogatoire en règle sur ses moeurs et ses habitudes; de languissantes malades pour qui la question des gages n'était que secondaire et qui recherchaient surtout le confort d'un hospice particulier; de sensibles créatures qui éclataient en pleurs dès que Wilding leur adressait une question et auxquelles il dut faire boire plusieurs verres d'eau sucrée pour les apaiser, etc.
Le courage de Wilding allait lui manquer quand une nouvelle venue se présenta.
C'était une femme de cinquante ans environ, bien qu'à certains moments elle par?t plus jeune, par exemple quand elle souriait. Sa figure avait une remarquable expression de gaieté placide, qui semblait indiquer une égalité de caractère toujours bien rare. On n'aurait pu désirer une attitude meilleure ni mieux soutenue; et il n'était pas jusqu'au son de sa voix qui ne f?t en parfaite harmonie avec la réserve de ses manières. Wilding acheva d'être séduit, lorsqu'à la question suivante qu'il lui fit avec douceur:--Quel nom inscrirai-je, madame?
Elle répondit:--Je me nomme Sarah Goldstraw. Mon mari est mort depuis de longues années. Je n'ai pas d'enfants.
Cette voix frappa si agréablement l'oreille de Wilding, tandis qu'il prenait ses notes, qu'il ne se hata point de les prendre et qu'il pria Madame Goldstraw de lui répéter son nom. Lorsqu'il releva la tête, le regard de l'étrangère venait de se promener autour de la chambre et retournait vers lui.
--Vous m'excuserez de vous adresser encore quelques questions?--fit Wilding.
--Certainement, monsieur, si je ne voulais pas être interrogée, je n'aurais rien à faire ici.
--Avez-vous déjà rempli les fonctions de femme de charge?
--Une fois seulement. J'ai servi une dame qui était veuve. Je l'ai servie pendant douze ans. C'était une pauvre malade qui est morte récemment, et c'est pourquoi vous me voyez en deuil.
--Je suis persuadé que cette dame a d? vous laisser les meilleures lettres de crédit?--reprit Wilding.
--Je crois qu'il m'est bien permis de dire que ce sont les meilleures qu'on puisse avoir,--répliqua-t-elle,--J'ai pensé que je vous épargnerais du temps et de la peine en prenant par écrit le nom et l'adresse des correspondants de cette dame, et je vous les ai apportés, monsieur.
Elle déposa une carte sur la table.
--Madame Goldstraw,--dit Wilding en prenant la carte,--vous me rappelez étrangement.... Vous me rappelez des manières et un son de voix auxquels j'ai été accoutumé jadis.... Oh! j'en suis s?r, bien que je ne puisse déterminer en ce moment ce qui se passe dans mon esprit.... Mais votre air et votre attitude sont ceux d'une personne.... Je devrais ajouter que cette personne était bonne et charmante.
Madame Goldstraw sourit.
--Eh bien! monsieur,--dit-elle,--j'en suis ravie.
--Oui,--reprit Wilding, répétant tout pensif ce qu'il venait de dire,--oui, charmante et bonne.
En même temps il jetait un regard à la dérobée sur
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.