que je puisse faire pour vous obliger,--dit-elle,--vous vous trompez en pensant que je le ferai pour de l'argent. Que désirez-vous?
--Vous êtes l'une des gardiennes ou des employées de l'Hospice. Je vous en ai vue sortir hier et ce soir.
--Je suis Sally, madame; je suis Sally.
--Votre visage annonce la patience et la douceur, je suis s?re que les enfants s'attachent tout de suite à vous.
--Pauvres chéris!... c'est vrai, madame.
La dame releva son voile. Elle n'était guère moins jeune que Sally. Certes sa figure avait quelque chose de bien plus aristocratique et décelait une intelligence bien plus ouverte: mais aussi comme elle était pale et fatiguée!
--Je suis la malheureuse mère d'un enfant confié à vos soins,--balbutia-t-elle,--et je veux vous adresser une prière!...
Sally alors, touchée de la confiance que la pauvre femme lui avait montrée en écartant son voile, Sally, dont les actions étaient toujours simples et pleines de bonté, repla?a la voile sur ce visage pale et se mit à pleurer.
--Vous écouterez ma prière,--lui dit la dame,--Vous ne serez point insensible aux angoisses d'une infortunée qui vous supplie?...
--Oh! chère... bien chère...--s'écria la bonne Sally.--Que faut-il vous dire? Et que puis-je faire? Ne parlez pas de prière, au moins.... Nos prières ne doivent s'élever que vers notre Père à tous: on n'en adresse point à une pauvre fille comme moi. D'ailleurs je vais quitter l'Hospice; je n'y resterai plus que six mois, jusqu'à ce qu'une autre jeune femme ait été mise au courant de mon service et soit prête à me remplacer. Je vais me marier, madame. Je ne serais pas sortie ce soir si mon Dick... c'est celui que je dois épouser... n'était malade. J'aiderai sa mère et sa soeur à le veiller cette nuit. Ne vous affligez pas si fort.
--Ah! bonne Sally... chère Sally... vous êtes pleine d'espérance, et depuis longtemps l'espérance s'est éteinte devant mes yeux. La vie s'offre à vous belle et paisible, vous deviendrez une femme respectée et sans doute une tendre et orgueilleuse mère. Vous êtes une femme aimante et vivante.... Et moi, il faut que je meure!... écoutez, écoutez-moi, je vous en prie.
--Mon Dieu!--s'écria Sally,--que dois-je donc faire? Voyez comme vous vous servez de mes propres paroles contre moi. Je vous ai dit que j'étais sur le point de me marier, afin de vous faire mieux comprendre que j'allais quitter cette maison et que je ne pouvais vous être d'aucun secours, pauvre femme!... Et vous voudriez à présent me persuader que j'ai tort de me marier et que je suis cruelle en refusant de vous servir. Ce n'est pas bien!... Allons, est-ce que cela est bien, madame?
--Sally, ma bonne Sally, ce n'est point dans l'avenir que je vous demande de m'aider, oh! non, ce n'est pas dans l'avenir. Ma prière ne regarde que le passé, je n'attends de vous que deux mots.
--Là,--s'écria Sally,--voilà qui va de mal en pire. Si je ne comprenais pas quels sont ces deux mots que vous voulez savoir....
--Vous le comprenez, Sally. Quels sont les noms que l'on a donnés à mon pauvre baby?... Quels sont ces noms? Je ne vous en demande pas davantage; j'ai lu la règle de la maison. Il a été baptisé dans la chapelle et enregistré dans le grand-livre. C'était Lundi soir.... Comment l'a-t-on appelé?
Elle se mit à genoux devant Sally,--à genoux dans la boue épaisse de cette petite rue déserte et sans issue qui conduisait aux jardins de l'Hospice; elle se serait roulée sur le pavé dans la véhémence et la folie de son désespoir, si la bonne Sally ne l'e?t relevée.
--Oh! non... non!...--s'écria cette chère fille,--vous me donnez envie de faire une bonne action. Laissez-moi regarder encore votre jolie figure; mettez vos mains dans les miennes.... Jurez-moi que vous ne me demanderez rien de plus que ces deux mots.
--Jamais... jamais je ne vous demanderai autre chose.
--Et si je les dis, ces noms, vous n'en ferez pas un mauvais usage? Vous ne ferez pas tourner cette révélation contre moi?
--Jamais!... Jamais!...
--Walter Wilding.
La dame jeta sa tête sur le sein de la jeune fille, la tint un moment embrassée, et murmura une bénédiction fervente.
--Embrassez-le pour moi!--fit-elle.
Et elle disparut.
* * * * *
Quel jour du mois et de l'année? Le premier Dimanche d'Octobre 1847. Quelle heure à Londres? Une heure et demie de l'après-midi à la grande horloge de St. Paul.
Aujourd'hui l'horloge de l'Hospice des Enfants Trouvés marche de conserve avec celle de la Cathédrale. Le service est fini dans la chapelle et les Enfants Trouvés sont à d?ner.
Il y a comme toujours beaucoup de monde à ce d?ner; deux ou trois directeurs, des familles entières de paroissiens, et quelques curieux. Un doux soleil d'automne pénètre dans la salle. Ces grandes fenêtres, ces murailles sombres sur lesquelles les rayons vont se jouant, sont des choses qu'Hogarth aimait à reproduire dans ses tableaux.
Le réfectoire des filles (la division des filles
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