La vraye suitte du Cid | Page 3

Nicolas-Marc Desfontaines
ceder la tristesse à la
joye:
Ah que vostre destin doit estre glorieux!
CHYMENE.
Quoy donc? des ennemis est-il victorieux?
Retourne-t'il chargé de
Lauriers & de Palmes?
DOM SANCHE.
Oüy: sa rare valeur rend ces Estats plus calmes,
Mais ce n'est pas cela
qui m'oblige à vous voir.
CHYMENE.
Quel est donc ce bon-heur faictes le moy sçavoir?
DOM SANCHE.
Madame consultez cette beauté si rare
Et vous sçaurez le bien que le
ciel vous prepare,
Consultez ces beaux yeux, ils vous diront assez

Contre qui depuis peu leurs traits se sont lancez,
Ils vous diront qu'un
Roy jeune, amoureux & brave
Prefere à ses grandeurs la qualité
d'esclave,
Et qu'il trouve ses fers si charmans & si doux
Qu'il
semble ne vouloir regner qu'avecque vous.
Oüy Madame le Roy vous
ayme, il vous adore,
Et je viens demander la grace qu'il implore;

Qu'une injuste rigueur ne l'y refuse pas,
Considerez qu'un Sceptre a
de puissans appas,
Et qu'il ne sied pas bien de faire l'inhumaine

Quand il s'agist d'un trône, & du tiltre de Reyne.
CHYMENE.
Ah! qu'il te sied bien moins de troubler mon repos
Par les traits
odieux d'un si lasche propos:
Perfide as-tu si peu de honte, & de
courage
Que de ne pas rougir me tenant ce langage,
As-tu mis en

oubly la gloire de tes fers,
Ne te souvient-il plus que je les ay
soufferts,
Et mesme quelquesfois pour soulager tes peynes
Que ma
main pitoyable a soustenu tes chaisnes,
Toutesfois coeur ingrat &
sans ressentiment
Apres avoir porté la qualité d'Amant
Tu parles
pour un autre, & tu veux que mon ame
Reçoive en ta faveur les
ardeurs de sa flame,
Ah! que tu monstre bien par ce tour desloyal

Combien le Cid avoit un indigne Rival,
Puisque tu ne sçaurois te
conserver la gloire
D'avoir long-temps au moins disputé la victoire.
DOM SANCHE.
Si je croyois, Madame, en cette occasion
Qu'il vous restast pour moy
quelque inclination
Et que l'impression de ma flame passée
Ne fust
pas tout à fait de vostre ame effacée,
Je ne parlerois plus des
hommages d'un Roy,
La voix dont il se sert vous parleroit pour moy,

Et je vous ferois voir par ma perseverance
Combien je cherirois
cette heureuse esperance.
CHYMENE.
Quoy traistre que je t'ayme, ah le noble dessein,
Je plongerois plustost
un poignard dans mon sein:
Que cette vanité n'entre pas dans ton ame,

Je ne receus jamais de si honteuse flame,
Et pour ne point souffrir
un si lasche vainqueur
J'employrois cette main pour m'arracher le
coeur.
Quoy Dom Sanche as-tu bien l'audace de pretendre
A ce prix
glorieux que tu n'as pu deffendre?
Ne te souvient-il plus de ce fameux
duel
Qui te fit recevoir un affront solemnel,
Quand on te contraignit
de m'apporter l'espée
Pour moy contre le Cid vainement occupée,

Est-ce pour avoir faict cette belle action
Que tu pretens encore à mon
affection?
Est-ce pour ce sujet qu'il faut qu'on te prefere
A ce noble
Guerrier que l'Espagne revere,
Parle raconte moy quelques-uns de tes
faits
Dy que par ta valeur les Mores sont deffaits
Qu'au seul bruit de
ton nom tout se rend, & tout cede,
Que tu remplis d'effroy l'Arragon
& Tolede
Que ton bras avec eux est l'appuy de l'Estat
Et que

l'Espagne enfin te doit tout son esclat,
Alors, si ce discours se treuve
veritable
Dom Sanche asseurément tu me seras aymable
Les Roys
au prix de toy me seront odieux
Et tu me seras cher à l'esgal de mes
yeux.
DOM SANCHE.
Je ne suis pas, Madame, en ce point d'arrogance
Que de m'attribuer
cette haute vaillance
Je borne mes desseins à de moindre effets
Les
Mores par mon bras n'ont pas esté deffaits.
Il ne fit jamais rien
capable de vous plaire
Mais il ne fume pas du sang de vostre pere.
CHYMENE.
Quoy ta rage inhumain ne se peut arrester?
Et tu te plais encore à me
persecuter?
Ne te lasses-tu point de voir couler mes larmes,
Tien
traistre de mon sang tu peux teindre tes armes
Et me faire mourir
avec moins de rigueur
Que par ce coup mortel dont tu frappes mon
coeur.
Acheve ingrat acheve, assouvis ton envie
Vange toy de ta
honte aux despens de ma vie,
Et cesse d'outrager avecque tes discours

Celuy dont les bontez ont espargné tes jours.
DOM SANCHE.
Disant la verité, je ne faits point d'outrage
Et ce discours n'est pas un
effet de ma rage
Je ne parlay jamais d'un jugement plus sain
Vostre
projet est beau, mais vostre espoir est vain
Aux volontez d'un Roy
vous vous monstrez rebelle
Et vous ne croyez pas ce grand Cid
infidelle,
Bien que vous soyez seule en toute cette Cour
Qui n'ait
oüy parler de ce nouvel Amour.
Son objet est Cheriffe Infante de
Cordouë
Luy mesme ouvertement dans ses lettres l'advouë
Et la
depeint au Roy d'un pinceau si charmant
Qu'on void qu'il en est
moins, l'ennemy que l'Amant.
CHYMENE.

Hé bien laisse venir cette superbe Infante,
Qu'au lieu d'estre captive
elle soit triomphante,
Que le Cid soit vaincu comme victorieux

Pourveu que ton objet s'esloigne de mes yeux
Avec plus de constance,
& moins d'inquietude
J'attendray les effets de son ingratitude,

Retire toy de grace & m'accorde ce point
Que tes soins desormais ne
m'importunent point,
Exerce ton adresse en de meilleurs offices
Ne
te travaille plus à croistre mes supplices,
Et quitte
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