victorieusement qu'en prenant l'offensive et que, se laisser attaquer, c'est être déjà à demi vaincu. Et il est venu m'attaquer dans mon petit bois, au bord de mon onde pure. C'est un rude assaillant. Il y va de l'ongle et des dents, sans compter les feintes et les ruses. J'entends par là qu'en polémique il a diverses méthodes et qu'il ne dédaigne point l'intuitive, quand la déductive ne suffit pas. Je ne troublais point son eau. Mais il est contrariant et même un peu querelleur. C'est le défaut des braves. Je l'aime beaucoup ainsi. N'est-ce point Nicolas, son ma?tre et le mien, qui a dit:
Achille déplairait moins bouillant et moins prompt.
J'ai beaucoup de désavantages s'il me faut absolument combattre M. Brunetière. Je ne signalerai pas les inégalités trop certaines et qui sautent aux yeux. J'en indiquerai seulement une qui est d'une nature toute particulière; c'est que, tandis qu'il trouve ma critique facheuse, je trouve la sienne excellente. Je suis par cela même réduit à cet état de défensive qui, comme nous le disions tout à l'heure, est jugé mauvais par tous les tacticiens. Je tiens en très haute estime les fortes constructions critiques de M. Brunetière. J'admire la solidité des matériaux et la grandeur du plan. Je viens de lire les le?ons professées à l'école normale par cet habile ma?tre de conférences, sur l'évolution de la critique depuis la Renaissance jusqu'à nos jours, et je n'éprouve aucun déplaisir à dire très haut que les idées y sont conduites avec beaucoup de méthode et mises dans un ordre heureux, imposant, nouveau. Leur marche, pesante mais s?re, rappelle cette manoeuvre fameuse des légionnaires s'avan?ant serrés l'un contre l'autre et couverts de leurs boucliers, à l'assaut d'une ville. Cela se nommait faire la tortue, et c'était formidable. Il se mêle, peut-être, quelque surprise à mon admiration quand je vois où va cette armée d'idées. M. Ferdinand Brunetière se propose d'appliquer à la critique littéraire les théories de l'évolution. Et, si l'entreprise en elle-même semble intéressante et louable, on n'a pas oublié l'énergie déployée récemment par le critique de la Revue des Deux Mondes pour subordonner la science à la morale et pour infirmer l'autorité de toute doctrine fondée sur les sciences naturelles. C'était à l'occasion du Disciple et l'on sait si M. Brunetière ménageait alors les remontrances à ceux qui prétendaient introduire les théories transformistes dans quelque canton de la psychologie ou de la sociologie. Il repoussait les idées darwiniennes au nom de la morale immuable. ?Ces idées, disait-il expressément, doivent être fausses, puisqu'elles sont dangereuses.? Et maintenant, il fonde la critique nouvelle sur l'hypothèse de l'évolution. ?Notre projet, dit-il, n'est autre que d'emprunter de Darwin et de H?ckel le secours que M. Taine a emprunté de Geoffroy Saint-Hilaire et de Cuvier.? Je sais bien qu'autre chose est de professer, comme M. Sixte, l'irresponsabilité des criminels et l'indifférence absolue en matière de morale, autre chose est d'appliquer aux genres littéraires les lois qui président à l'évolution des espèces animales et végétales. Je ne dis pas du tout que M. Brunetière se démente et se contredise. Je marque un trait de sa nature, un tour de son caractère, qui est, avec beaucoup d'esprit de suite, de donner volontiers dans l'inattendu et dans l'imprévu. On a dit, un jour, qu'il était paradoxal, et il semblait bien que ce f?t par antiphrase, tant sa réputation de bon raisonneur était solidement établie. Mais on a vu à la réflexion qu'il est, en effet, un peu paradoxal à sa manière. Il est prodigieusement habile dans la démonstration: il faut qu'il démontre toujours, et il aime parfois à soutenir fortement des opinions extraordinaires et même stupéfiantes.
Par quel sort cruel devais-je aimer et admirer un critique qui correspond si peu à mes sentiments! Pour M. Ferdinand Brunetière, il y a simplement deux sortes de critiques, la subjective, qui est mauvaise et l'objective, qui est bonne. Selon lui, M. Jules Lema?tre, M. Paul Desjardins, et moi-même, nous sommes atteints de subjectivité, et c'est le pire des maux; car, de la subjectivité, on tombe dans l'illusion, dans la sensualité et dans la concupiscence, et l'on juge les oeuvres humaines par le plaisir qu'on en re?oit, ce qui est abominable. Car il ne faut pas se plaire à quelque ouvrage d'esprit avant de savoir si l'on a raison de s'y plaire; car, l'homme étant un animal raisonnable, il faut d'abord qu'il raisonne; car il est nécessaire d'avoir raison et il n'est pas nécessaire de trouver de l'agrément; car le propre de l'homme est de chercher à s'instruire par le moyen de la dialectique, lequel est infaillible; car on doit toujours mettre une vérité au bout d'un raisonnement, comme un noeud au bout d'une natte; car, sans cela, le raisonnement ne tiendrait pas, et il faut qu'il tienne; car on attache ensuite plusieurs raisonnements
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