surtout aux jouets anthropomorphes, est reconnu d'une
manière implicite, non seulement par tous les enfants, mais encore par
quelques adultes, en qui persiste la simplicité de l'enfance. Les
personnes qui veulent bien me lire savent mon respect pour les choses
sacrées. Je puis dire, sans crainte d'être soupçonné par elles d'une
irrévérence inattendue, que des simulacres tout à fait puérils prennent
place encore aujourd'hui dans certaines cérémonies de l'Église, et que
parfois les âmes innocentes et pieuses associent naïvement de purs
joujoux aux mystères du culte. Les boutiques de la rue Saint-Sulpice ne
sont-elles pas pleines de poupées liturgiques? Et qu'est-ce que les
crèches qu'on met dans les églises, pendant les joyeuses féeries de Noël,
sinon de pieux jouets? Il n'y a pas huit jours, comme j'entrais dans une
chapelle ouverte par les catholiques anglais dans le quartier de l'Étoile,
je vis, au fond de l'abside, la scène de la Nativité, représentée par des
figurines moulées et peintes. De douces femmes venaient s'agenouiller
devant ces bonshommes. Elles reconnaissaient avec allégresse la grotte
de Bethléem, la sainte Vierge, saint Joseph et le petit Jésus, ouvrant, de
son berceau, les bras sur le monde. Prosternés aux pieds de
l'Enfant-Dieu, les trois rois mages présentaient l'or, la myrrhe et
l'encens. On distinguait Melchior à sa barbe blanche, Gaspar à son air
de jeunesse, et le bon Balthazar à l'expression naïve de son visage noir
comme la nuit. Celui-là souriait sous un énorme turban. O candeur du
bon nègre! Impérissable douceur de l'oncle Tom! Tous pas plus grands
que la main. Des bergers et des bergères, hauts comme le doigt,
occupaient les abords de la grotte. Il y avait aussi des chameaux et des
chameliers, un pont sur une rivière et des maisons, avec des vitres aux
fenêtres, qu'on éclairait, le soir en y mettant des bougies. Cette scène
répondait exactement aux besoins esthétiques d'une petite fille de six
ans. Tout le temps que je restai dans l'église, j'entendis les sons d'une
boîte à musique qui aidait à la contemplation.
Aussi les innocentes dames étaient-elles prises au coeur par une si
gentille bergerie. Il fallait bien, pour donner de telles émotions, que ces
images à demi comiques, à demi sacrées, eussent une âme, une petite
âme de joujou. J'aurais mauvaise grâce à railler une naïveté dont j'avais
ma part: ces bonnes âmes agenouillées et répandues devant des poupées
m'ont paru charmantes. Et, si je dénonce les parties de fétichisme qui
entrent dans le métal de leur orthodoxie, ce n'est pas pour déprécier un
tel alliage. Je tiens de M. Pierre Lafitte, le généreux chef du positivisme,
que le culte des fétiches avait du bon, et je ne crois pas, pour ma part,
qu'il y ait de religion vraie sans un peu de fétichisme. Je vais plus loin:
tout sentiment profond ramène à cette antique religion des hommes.
Voyez les joueurs et les amoureux: il leur faut des fétiches.
Je viens de vous montrer le joujou dans le sanctuaire. Je ne serai pas
embarrassé de vous le montrer encore au seuil du musée. Il appartient à
la fois aux dieux invisibles et aux muses. Parce qu'il est religieux, le
jouet est artiste. Je vous prie de tenir cette proposition pour démontrée.
Les cultes et les arts procèdent d'une même inspiration. Du bambin qui
range avec effort ses soldats de plomb sur une table, au vénérable M.
Ravaisson groupant avec enthousiasme, dans son atelier du Louvre, la
Vénus Victrix et l'Achille Borghèse, il n'y a qu'une nuance de sentiment.
Le principe des deux actions est identiquement le même. Tout marmot
qui combine ses jouets est déjà un esthète.
Il est bien vrai de dire que la poupée est l'ébauche de la statue. En face
de certaines figurines de la nécropole de Myrrhina, le savant M.
Edmond Pottier hésite, ne sachant s'il a devant lui une poupée ou une
idole. Les poupées qu'aux jours de beauté, dans la sainte Hellas, les
petites filles des héros pressaient contre leur coeur, ces poupées ont péri;
elles étaient de cire et elles ont fondu au soleil. Elles n'ont pas survécu
aux bras charmants qui, après les avoir portées, se sont ouverts pour
l'amour ou crispés dans le désespoir, et puis qu'a glacés la mort. Je
regrette ces poupées de cire: j'imagine que le génie grec avait donné la
grâce à leur fragilité. Celles qui nous restent sont de terre cuite; ce sont
de pauvres petites poupées, trouvées dans des tombeaux d'enfants.
Leurs membres grêles sont articulés comme les bras et les jambes des
pantins. C'est là encore un caractère qu'il faut considérer.
Si la poupée procède de la statuaire par sa plastique, elle doit à la
souplesse de ses articulations d'autres propriétés précieuses. L'enfant lui
communique des gestes et des attitudes, l'enfant la fait agir et il parle
pour elle. Et voilà
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