na?ve, une gaucherie divine de statues qui consentent à faire les poupées, et l'on est ravi de voir ces petites idoles jouer la comédie. Considérez encore qu'elles furent faites pour ce qu'elles font, que leur nature est conforme à leur destinée, qu'elles sont parfaites sans effort.
J'ai vu, certain soir, sur un grand théatre, une dame de beaucoup de talent et tout à fait respectable qui, habillée en reine et récitant des vers, voulait se faire passer pour la soeur d'Hélène et des célestes Gémeaux. Mais elle a le nez camard, et j'ai connu tout de suite à ce signe qu'elle n'était pas la fille de Léda. C'est pourquoi elle avait beau dire et beau faire, je ne la croyais pas. Tout mon plaisir était gaté. Avec les marionnettes, on n'a jamais à craindre un semblable malaise. Elles sont faites à l'image des filles du rêve. Et puis elles ont mille autres qualités que je ne saurais exprimer tant elles sont subtiles, mais que je go?te avec délices. Tenez, ce que je vais dire est à peu près inintelligible; je le dirai tout de même parce que cela répond à une sensation vraie. Ces marionnettes ressemblent à des hiéroglyphes égyptiens, c'est-à-dire à quelque chose de mystérieux, et de pur, et, quand elles représentent un drame de Shakespeare ou d'Aristophane, je crois voir la pensée du poète se dérouler en caractères sacrés sur les murailles d'un temple. Enfin, je vénère leur divine innocence et je suis bien s?r que, si le vieil Eschyle, qui était très mystique, revenait sur la terre et visitait la France à l'occasion de notre Exposition universelle, il ferait jouer ses tragédies par la troupe de M. Signoret.
J'avais à coeur de dire ces choses, parce que je crois, sans me flatter, qu'un autre ne les dirait pas, et je soup?onne fort que ma folie est unique. Les marionnettes répondent exactement à l'idée que je me fais du théatre, et je confesse que cette idée est particulière. Je voudrais qu'une représentation dramatique rappelat en quelque chose, pour rester véritablement un jeu, les bo?tes de Nuremberg, les arches de Noé et les tableaux à horloge. Mais je voudrais aussi que ces images na?ves fussent des symboles, qu'une magie animat ces formes simples et que ce f?t enfin des joujoux enchantés. Ce go?t semble bizarre; pourtant, il faut considérer que Shakespeare et Sophocle le contentent assez bien.
Les marionnettes nous ont donné dernièrement une comédie qui fut écrite au temps de l'empereur Othon, dans un couvent de la Saxe, à Gandersheim, par une jeune religieuse nommée Hrotswitha, c'est-à-dire la Rose blanche, ou plut?t la Voix claire, car les savants hésitent, et le vieux saxon ne se lit pas très facilement, ce dont vous me voyez désolé.
En ce temps-là la figure de l'Europe était brumeuse et chevelue. Les choses étaient sombres, les ames rudes. Les hommes, vêtus de chemises d'acier et coiffés de casques pointus qui leur donnaient l'air de grands brochets, s'en allaient tous en guerre et ce n'était dans la chrétienté que coups de lance et d'épée. On batissait des églises très sombres, décorées de figures épouvantables et touchantes comme en font les petits enfants quand ils s'efforcent de représenter des hommes et des animaux. Les vieux tailleurs de pierre du temps de l'empereur Othon et du roi Louis d'Outre-mer avaient, comme les enfants, toutes les surprises et toutes les joies de l'ignorance. Aux chapiteaux des colonnes, ils mettaient des anges dont les mains étaient plus grosses que le corps parce qu'il est très difficile de faire tenir cinq doigts dans un petit espace, et ces mains n'en étaient pas moins quelque chose de merveilleux. Aussi devaient-ils être satisfaits, ces bons imagiers, en contemplant leur ouvrage qui ne ressemblait à rien et faisait penser à tout.
Les gros oiseaux, les dragons et les petits hommes monstrueux de la sculpture romane, ce fut avec les enluminures féroces, pleines de diableries, des manuscrits, tout ce que Hrotswitha put conna?tre de la beauté des arts. Mais elle lisait Térence et Virgile dans sa cellule, et elle avait l'ame douce, riante et pure. Elle composait des poèmes qui rappellent quelque peu ces anges dont les mains étaient plus grandes que les corps, mais qui nous touchent par je ne sais quoi de candide, d'innocent, et d'heureux.
C'était, pour ces femmes enfermées dans un monastère, un grand amusement que de jouer la comédie. Les représentations dramatiques étaient fréquentes dans les couvents de filles nobles et lettrées. Ni décors ni costumes. Seulement des fausses barbes pour représenter les hommes. Hrotswitha composa des comédies qu'elle jouait sans doute avec ses soeurs; et ces pièces, écrites dans un latin un peu mièvre et court, assez joli, sont bien les plus gracieuses curiosités dont puisse s'amuser aujourd'hui un esprit ouvert aux souffles, aux parfums, aux ombres du passé.
C'était une honnête créature, que
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