naturelle et la vivacité d'une intelligence aigu?, qu'affina la pratique des affaires. Il ne s'est pas piqué de littérature plus qu'il ne convenait. Il n'est point tombé dans le travers de Philippe, roi de Macédoine, qui voulait s'entendre en chansons mieux que les chansonniers. Il a voulu rester l'homme qui go?te et qui sent. Il a bien fait; car son go?t est fin et son sentiment juste. Pourtant, je le contredirai sur deux points, parce que, s'il faut toujours dire la vérité, c'est surtout aux triomphateurs qu'on doit la faire entendre. Mon principal grief est qu'il a passé un peu lestement sur les romans de Sandeau; il n'a même pas nommé la Maison de Penarvan. Je reviendrai tout à l'heure sur ce sujet. Mon second reproche s'applique à un certain portrait qu'il a fait incidemment, en quelques traits rapides, d'une inexactitude que je tiens pour exemplaire. Il nous a montré ?un ma?tre charmant, plein de tact et de mesure, un poète très fin, qui dit les choses sans appuyer, laissant ainsi à l'auditoire le plaisir de croire qu'il collabore, en l'écoutant, avec l'homme d'esprit qui a écrit la pièce?... En ce ma?tre charmant, en le fin poète, en cet homme d'esprit, il veut nous faire reconna?tre M. émile Augier. J'y éprouve, pour ma part, quelque peine, et j'affirme que le portrait manque de ressemblance. Ce n'est pas que l'auteur du Fils de Giboyer soit dépourvu de finesse et de mesure; mais ses qualités essentielles sont tout autres. Il ne dit pas les choses sans appuyer: il appuie au contraire avec une heureuse rudesse. Il est robuste, il est ferme; il frappe juste et fort. Il a plus d'énergie que de grace et plus de droiture que de souplesse. Ses créations ne laissent rien à deviner. Le ma?tre les jette en pleine lumière. Elles n'ont rien d'inachevé, rien de mystérieux. On n'avait qu'à nommer la Vigueur et la Probité pour faire appara?tre M. émile Augier entre ses deux Muses. à Dieu ne plaise, monsieur Léon Say, que vous sachiez ces choses aussi bien que moi. à Rome, au temps de Néron, certain tribun des soldats, fils d'un honnête publicain, montrait dans l'administration militaire des talents qu'il avait précédemment exercés dans l'administration civile. Il était laborieux et sage, mais il dormait au théatre. Il n'en parvint pas moins à la première magistrature de l'état. Je soup?onne M. Léon Say d'avoir quelquefois sommeillé de même au Théatre-Fran?ais pendant qu'on jouait Gabrielle ou les Fourchambault. Il n'y a pas grand mal à cela et M. émile Augier est le premier, j'en suis s?r, à lui pardonner. Les hommes d'état n'ont pas toujours le loisir de fréquenter les Muses; il faut seulement qu'il ne se brouillent pas avec elles, car ce serait se brouiller avec la grace et la persuasion, et qu'est-ce, je vous prie, qu'un président du conseil sans la persuasion et la grace? Il faut beaucoup de choses pour gouverner, beaucoup de bonnes choses et quelques mauvaises. Ne vous y trompez pas: il y faut du go?t. Sans le go?t, on choque ceux mêmes qui n'en ont pas. Mon confrère et ami M. Adolphe Racot prête au héros de son dernier roman cette idée que, pour la conduite des hommes, le go?t vaut l'intelligence et la probité. Je n'irai pas jusque-là; mais il est vrai que le go?t suppose la justesse de l'esprit, la délicatesse des sentiments et plusieurs fortes qualités dont il est la fleur.
M. Léon Say a du go?t. Il y para?t dans l'élégante simplicité, dans la clarté abondante de sa parole.
Ses discours politiques, particulièrement ceux qui traitent de finances, sont d'un art achevé. Tout y semble facile. C'est un rare plaisir que d'entendre M. Léon Say à la tribune du Sénat. La voix est claire. Au début, elle semble un peu aigre. C'est justement ce qu'il faut pour qu'on sache gré à l'orateur de l'adoucir ensuite. Dès la seconde phrase, elle ne garde d'aigu que ce qu'il faut pour bien entrer dans les oreilles. Elle les mord sans les blesser. La diction, bien qu'aisée, n'est pas coulante à l'excès. M. Léon Say n'a pas cette parole savonnée qui glisse et ne pénètre pas. Certes, la tribune n'est pas faite pour les orateurs pénibles; ceux-là font partager à leurs auditeurs la fatigue qu'ils éprouvent; par une sympathie involontaire, on souffre de leur souffrance. Mais un orateur dont la parole est trop fluide et se répand d'un cours égal n'inspire, dans une Assemblée, qu'un intérêt superficiel. Il faut que celui qui parle paraisse chercher et choisir ses idées et ses paroles. La recherche doit être rapide et le choix s?r; encore faut-il que l'un et l'autre se sentent dans quelques inflexions de la voix et dans certains ralentissements du débit. Il faut enfin que le travail de la pensée reste sensible au

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