La vie et la mort du roi Richard II | Page 9

William Shakespeare
commun de l'univers. Maintenant il me faut oublier le langage que j'appris durant ces quarante ann��es, mon anglais natal. Ma langue me sera d��sormais aussi inutile qu'une viole ou une harpe sans cordes, un instrument fait avec art mais enferm�� dans son ��tui, ou qu'on en retire pour le placer dans les mains qui ne connaissent point l'art d'en faire sortir l'harmonie. Vous avez emprisonn�� ma langue dans ma bouche, sous les doubles guichets de mes dents et de mes l��vres, et la stupide, l'insensible, la st��rile ignorance est le ge?lier qui m'est donn�� pour me garder: je suis trop vieux pour caresser une nourrice, trop avanc�� en age pour devenir ��colier. Votre arr��t n'est donc autre chose que celui d'une mort silencieuse qui prive ma langue de la facult�� de parler son idiome naturel.
RICHARD.--Il ne te sert de rien de te plaindre. Apr��s notre sentence, les lamentations viennent trop tard.
NORFOLK, se retirant.--Je vais donc quitter la lumi��re de mon pays, pour aller habiter les sombres t��n��bres d'une nuit sans fin.
RICHARD.--Reviens encore, et emporte avec toi un serment. Posez sur notre ��p��e royale vos mains exil��es; jurez par l'ob��issance que vous devez au ciel (et dont la part qui nous appartient vous accompagnera dans votre bannissement)[3], de garder le serment que nous vous faisons pr��ter, que jamais dans votre exil (et qu'ainsi le ciel et l'honneur vous soient en aide) vous ne vous rattacherez l'un �� l'autre par l'affection; que jamais vous ne consentirez l'un l'autre �� vous regarder; que jamais ni par ��crit, ni par aucun rapprochement, vous n'��claircirez la sombre temp��te de la haine n��e entre vous dans votre patrie; que jamais vous ne vous r��unirez �� dessein pour tramer, combiner, comploter aucun acte dommageable contre nous, nos sujets et notre pays.
[Note 3: Our part therein we banish with yourselves.
Les commentateurs ont cru voir dans ce vers que Richard les d��liait en les bannissant de l'ob��issance qu'ils lui devaient; il para?t clair, au contraire, que s'il bannit avec eux l'ob��issance qu'ils lui doivent; c'est pour qu'elle les accompagne.]
BOLINGBROKE.--Je le jure.
NORFOLK.--Et moi aussi, je jure d'observer tout cela.
BOLINGBROKE.--Norfolk, je puis t'adresser encore ceci comme �� mon ennemi: �� cette heure, si le roi nous l'avait permis, une de nos ames serait errante dans les airs, bannie de ce fr��le tombeau de notre chair comme notre corps est maintenant banni de ce pays. Confesse tes trahisons avant de fuir de ce royaume: Tu as bien loin �� aller; n'emporte pas avec toi le pesant fardeau d'une ame coupable.
NORFOLK.--- Non, Bolingbroke; si jamais je fus un tra?tre, que mon nom soit effac�� du livre de vie, et moi banni du ciel comme je le suis d'ici. Mais ce que tu es, le ciel, toi et moi nous le savons, et je crains que le roi n'ait trop t?t �� d��plorer ceci.--Adieu, mon souverain. Maintenant je ne puis plus m'��garer: except�� la route qui ram��ne en Angleterre, le monde entier est mon chemin.
(Il sort.)
RICHARD.--Oncle, je lis clairement dans le miroir de tes yeux le chagrin de ton coeur: la tristesse de ton visage a retranch�� quatre ann��es du nombre des ann��es de son exil. (A Bolingbroke.)--Apr��s que les glaces de six hivers se seront ��coul��es, reviens de ton exil, le bienvenu dans ta patrie.
BOLINGBROKE.--Quel long espace de temps renferm�� dans un petit mot! Quatre tra?nants hivers et quatre folatres printemps finis par un mot! Telle est la parole des rois.
GAUNT.--Je remercie mon souverain de ce que, par ��gard pour moi, il abr��ge de quatre ans l'exil de mon fils; mais je n'en retirerai que peu d'avantage, car avant que les six ann��es qu'il lui faut passer aient chang�� leurs lunes et fait leur r��volution, ma lampe d��pourvue d'huile et ma lumi��re us��e par le temps s'��teindront dans les ann��es et dans une nuit ��ternelle; ce bout de flambeau qui me reste sera br?l�� et fini, et l'aveugle Mort ne me laissera pas revoir mon fils.
RICHARD.--Pourquoi, mon oncle? Tu as encore bien des ann��es �� vivre.
GAUNT.--Mais pas une minute, roi, que tu puisses me donner. Tu peux abr��ger mes jours par le noir chagrin, tu peux m'enlever des nuits, mais non me pr��ter un lendemain. Tu peux aider le temps �� me sillonner de vieillesse, mais non pas arr��ter dans ses progr��s une seule de mes rides. S'agit-il de ma mort, ta parole a cours aussi bien que lui: mais mort, ton royaume ne saurait racheter ma vie.
RICHARD..--Ton fils est banni d'apr��s une sage d��lib��ration dans laquelle ta voix m��me a donn�� son suffrage. Pourquoi donc maintenant sembles-tu te plaindre de notre justice?
GAUNT.--Il est des choses qui, douces au go?t, sont dures �� dig��rer. Vous m'avez press�� comme juge, mais j'aurais bien mieux aim�� que vous m'eussiez ordonn�� de plaider comme un p��re. Ah! si au lieu de mon enfant, c'e?t ��t�� un
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