souffles brusques qui inclinent le yacht, le lancent tout à coup en avant, ainsi qu'un cheval s'emporte, avec deux bourrelets d'écume qui bouillonnent à la proue comme une bave de bête marine. Puis le vent cesse et le bateau se calme, reprend sa petite route tranquille qui, suivant les bordées, tant?t l'éloigne, tant?t le rapproche de la c?te italienne. Vers deux heures, le patron qui consultait l'horizon avec les jumelles, pour reconna?tre à la voilure portée et aux amures prises par les batiments en vue, la force et la direction des courants d'air, en ces parages où chaque golfe donne un vent tempétueux ou léger, où les changements de temps sont rapides comme une attaque de nerfs de femme, me dit brusquement:
?Monsieur, faut amener le flèche; les deux bricks-go?lettes qui sont devant nous viennent de serrer leurs voiles hautes. ?a souffle dur là-bas.?
L'ordre fut donné; et la longue toile gonflée descendit du sommet du mat, glissa, pendante et flasque, palpitante encore comme un oiseau qu'on tue, le long de la misaine qui commen?ait à pressentir la rafale annoncée et proche.
Il n'y avait point de vagues. Quelques petits flots seulement moutonnaient de place en place; mais soudain, au loin, devant nous, je vis l'eau toute blanche, blanche comme si on étendait un drap par-dessus. Cela venait, se rapprochait, accourait, et lorsque cette ligne cotonneuse ne fut plus qu'à quelques centaines de mètres de nous, toute la voilure du yacht re?ut brusquement une grande secousse du vent qui semblait galoper sur la surface de la mer, rageur et furieux, en lui plumant le flanc comme une main plumerait le ventre d'un cygne. Et tout ce duvet arraché de l'eau, cet épiderme d'écume voltigeait, s'envolait, s'éparpillait sous l'attaque invisible et sifflante de la bourrasque. Nous aussi, couchés sur le c?té, le bordage noyé dans le flot clapoteux qui montait sur le pont, les haubans tendus, la mature craquant, nous part?mes d'une course affolée, gagnés par un vertige, par une furie de vitesse. Et c'est vraiment une ivresse unique, inimaginablement exaltante, de tenir en ses deux mains, avec tous ses muscles tendus depuis le jarret jusqu'au cou, la longue barre de fer qui conduit à travers les rafales cette bête emportée et inerte, docile et sans vie, faite de toile et de bois.
Cette fureur de l'air ne dura guère que trois quarts d'heure; et tout à coup, lorsque la Méditerranée eut repris sa belle teinte bleue, il me sembla, tant l'atmosphère devint douce subitement, que l'humeur du ciel s'apaisait. C'était une colère tombée, la fin d'une matinée revêche; et le rire joyeux du soleil se répandit largement dans l'espace.
Nous approchions du cap où j'aper?us, à l'extrémité, au pied de la c?te escarpée, dans une trouée apparue sans accès, une église et trois maisons. Qui demeure là, bon Dieu? que peuvent faire ces gens? Comment communiquent-ils avec les autres vivants sinon par un des deux petits canots tirés sur leur plage étroite.
Voici la pointe doublée. La c?te continue jusqu'à Porto-Venere, à l'entrée du golfe de la Spezzia. Toute cette partie du rivage italien est incomparablement séduisante.
Dans une baie large et profonde ouverte devant nous, on entrevoit Santa-Margherita, puis Rapallo, Chiavari. Plus loin Sestri Levante.
Le yacht ayant viré de bord glissait à deux encablures des rochers, et voilà qu'au bout de ce cap, que nous finissions à peine de contourner, on découvre soudain une gorge où entre la mer, une gorge cachée, presque introuvable, pleine d'arbres, de sapins, d'oliviers, de chataigniers. Un tout petit village, Porto-Fino, se développe en demi-lune autour de ce calme bassin.
Nous traversons lentement le passage étroit qui relie à la grande mer ce ravissant port naturel, et nous pénétrons dans ce cirque de maisons couronné par un bois d'un vert puissant et frais, reflétés l'un et l'autre dans le miroir d'eau tranquille et rond où semblent dormir quelques barques de pêche.
Une d'elles vient à nous montée par un vieil homme. Il nous salue, nous souhaite la bienvenue, indique le mouillage, prend une amarre pour la porter à terre, revient offrir ses services, ses conseils, tout ce qu'il nous plaira de lui demander, nous fait enfin les honneurs de ce hameau de pêche. C'est le ma?tre de port.
Jamais peut-être, je n'ai senti une impression de béatitude comparable à celle de l'entrée dans cette crique verte, et un sentiment de repos, d'apaisement, d'arrêt de l'agitation vaine où se débat la vie, plus fort et plus soulageant que celui qui m'a saisi quand le bruit de l'ancre tombant eut dit à tout mon être ravi que nous étions fixés là.
Depuis huit jours je rame. Le yacht demeure immobile au milieu de la rade minuscule et tranquille; et moi je vais r?der dans mon canot, le long des c?tes, dans les grottes où grogne la mer au fond de trous invisibles, et autour des ?lots découpés
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.