colossales et fines. Il y a encore au milieu de ces pèlerins de la mer des navires tout blancs, de grands trois-mats ou des bricks, vêtus comme les Arabes d'une robe éclatante sur qui glisse le soleil.
Si rien n'est plus joli que l'entrée de ce port, rien n'est plus sale que l'entrée de cette ville. Le boulevard du quai est un marais d'ordures, et les rues étroites, originales, enfermées comme des corridors entre deux lignes tortueuses de maisons démesurément hautes soulèvent incessamment le coeur par leurs pestilentielles émanations.
On éprouve à Gênes ce qu'on éprouve à Florence et encore plus à Venise, l'impression d'une très aristocrate cité tombée au pouvoir d'une populace.
Ici surgit la pensée des rudes seigneurs qui se battaient ou trafiquaient sur la mer, puis, avec l'argent de leurs conquêtes, de leurs captures ou de leur commerce, se faisaient construire les étonnants palais de marbre dont les rues principales sont encore bordées.
Quand on pénètre dans ces demeures magnifiques, odieusement peinturlurées par les descendants de ces grands citoyens de la plus fière des républiques, et qu'on en compare le style, les cours, les jardins, les portiques, les galeries intérieures, toute la décorative et superbe ordonnance, avec l'opulente barbarie des plus beaux h?tels du Paris moderne, avec ces palais de millionnaires qui ne savent toucher qu'à l'argent, qui sont impuissants à concevoir, à désirer une belle chose nouvelle et à la faire na?tre avec leur or, on comprend alors que la vraie distinction de l'intelligence, que les sens de la beauté rare des moindres formes, de la perfection des proportions et des lignes, ont disparu de notre société démocratisée, mélange de riches financiers sans go?t et de parvenus sans traditions.
C'est même une observation curieuse à faire, celle de la banalité de l'h?tel moderne. Entrez dans les vieux palais de Gênes, vous y verrez une succession de cours d'honneur à galeries et à colonnades et d'escaliers de marbre incroyablement beaux, tous différemment dessinés et con?us par de vrais artistes, pour des hommes au regard instruit et difficile.
Entrez dans les anciens chateaux de France, vous y trouverez les mêmes efforts vers l'incessante rénovation du style et de l'ornement.
Entrez ensuite dans les plus riches demeures du Paris actuel, vous y admirerez de curieux objets anciens soigneusement catalogués, étiquetés, exposés sous verre suivant leur valeur connue, cotée, affirmée par des experts, mais pas une fois vous ne resterez surpris par l'originale et neuve invention des différentes parties de la demeure elle-même.
L'architecte est chargé de construire une belle maison de plusieurs millions, et touche cinq ou dix pour cent sur les dépenses, selon la quantité de travail artiste qu'il doit introduire dans son plan.
Le tapissier, à des conditions différentes, est chargé de la décorer. Comme ces industriels n'ignorent pas l'incompétence native de leurs clients et ne se hasarderaient point à leur proposer de l'inconnu, ils se contentent de recommencer à peu près ce qu'ils ont déjà fait pour d'autres.
Quand on a visité dans Gênes ces antiques et nobles demeures, admiré quelques tableaux et surtout trois merveilles de ce chef-d'oeuvrier qu'on nomme Van Dyck, il ne reste plus à voir que le Campo-Santo, cimetière moderne, musée de sculpture funèbre le plus bizarre, le plus surprenant, le plus macabre et le plus comique peut-être, qui soit au monde. Tout le long d'un immense quadrilatère de galeries, clo?tre géant ouvert sur un préau que les tombes des pauvres couvrent d'une neige de plaques blanches, on défile devant une succession de bourgeois de marbre qui pleurent leurs morts.
Quel mystère! L'exécution de ces personnages atteste un métier remarquable, un vrai talent d'ouvriers d'art. La nature des robes, des vestes, des pantalons, y appara?t par des procédés de facture stupéfiants. J'y vis une toilette de moire, indiquée en cassures nettes de l'étoffe d'une incroyable vraisemblance; et rien n'est plus irrésistiblement grotesque, monstrueusement ordinaire, indignement commun, que ces gens qui pleurent des parents aimés.
à qui la faute? Au sculpteur qui n'a vu dans la physionomie de ses modèles que la vulgarité du bourgeois moderne, qui ne sait plus y trouver ce reflet supérieur d'humanité entrevu si bien par les peintres flamands quand ils exprimaient en ma?tres artistes les types les plus populaires et les plus laids de leur race.--Au bourgeois peut-être que la basse civilisation démocratique a roulé comme le galet des mers en rongeant, en effa?ant son caractère distinctif et qui a perdu dans ce frottement les derniers signes d'originalité dont jadis chaque classe sociale semblait dotée par la nature.
Les Génois paraissent très fiers de ce musée surprenant qui désoriente le jugement.
* * * * *
Depuis le port de Gênes jusqu'à la pointe de Porto-Fino, c'est un chapelet de villes, un égrènement de maisons sur les plages, entre le bleu de la mer et le vert de la montagne. La brise du sud-est nous force à louvoyer. Elle est faible, mais à
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.