monsieur, la-bas ... C'est ton
mari. Tu es sure de ne pas l'oublier, des fois? Il t'a regardee, tu sais,
pendant tout le diner ... Il t'a regardee ... d'un regard si tendre, si
tendre ... ca m'a creve le coeur. On parle de mobilisation, personne ne
sait ce qui se passera demain et toi ... Qu'est-ce qu'il te racontait donc,
cet enseigne?
JEANNE. Que tu es bete! Rien du tout, naturellement!
ALICE. "Naturellement!" Tu es admirable. Comme si je ne savais pas
ce que les hommes disent aux femmes ...
JEANNE. Tu m'as l'air d'une femme, toi! Espece de petite fille!
ALICE. Comme si on avait besoin d'etre mariee pour ...
JEANNE. Oh! ne dis pas d'inconvenances!
ALICE. Zut! je suis une vieille fille! Pas une petite. Les vieilles filles
ont le droit de dire ce qu'elles veulent! Et moi, ce que je veux, c'est que
tu ne fasses pas de chagrin a ton mari. Tu es une brave petite bonne
femme aussi vrai que ta soeur est une vieille bete dont tu fais tout ce
que tu veux. Est-ce vrai?
JEANNE [l'embrassant en riant]. Oui.
ALICE. Alors, va l'embrasser aussi, lui ... le monsieur la-bas! Ton
mari ...
BRAMBOURG [qui s'est approche des deux femmes, a Jeanne]. Faut-il
vous inscrire au bridge, Madame?
JEANNE [qui a la vue de Brambourg n'a pu se defendre d'un leger
mouvement de repulsion,--d'un ton cassant]. Non, Monsieur, je ne
jouerai pas.
[Brambourg s'incline en souriant.]
BRAMBOURG [a Alice]. Et vous, Mademoiselle?
ALICE. On ne sait pas ... Peut-etre ... oui ...
BRAMBOURG [rapportant la reponse a ceux qui sont vers la table de
bridge]. Madame de Corlaix dit non et Mademoiselle Perlet dit:
peut-etre.
ALICE [bas, a Jeanne]. Tu as une facon de rembarrer les gens!
JEANNE. Celui-la m'exaspere!
ALICE. Pourquoi? Il te fait la cour?
JEANNE. La cour! Tu t'y connais!
[Alice va vers la table de bridge ou Vertillac et Birodart sont deja
installes.]
VERTILLAC. Bravo, Mademoiselle. [A Corlaix.] Commandant, nous
n'attendons plus que vous.
JEANNE. Pardon, Messieurs. Mon mari ne jouera pas tout de suite si
vous permettez. Il a des choses importantes a me dire.
RABEUF [a Fergassou]. Commencons toujours. On est quatre.
FERGASSOU. Eclipsons-nous sans en avoir l'air ...
[En riant, ils vont rejoindre les joueurs. Ceux qui ne sont pas assis a la
table de bridge se groupent pour suivre la partie. Jeanne et Corlaix
restent seuls dans le salon.]
JEANNE [qui est assise deliberement pres du bureau de Corlaix]. Eh
bien, Fred?
CORLAIX. Vous etes bien sure que c'est moi qui ai a vous parler?
[Jeanne fait un "oui" tres serieux de la tete.] Ah! alors ... Mais qu'est-ce
que j'ai a vous dire?
JEANNE. Oh! Fred! Il faut que ce soit moi qui vous souffle ... dans des
circonstances pareilles? [Affectueusement] Vous avez a me dire que
vous auriez beaucoup de peine s'il vous fallait quitter votre petite fille
sans lui dire adieu!
CORLAIX. Voyons! Voyons! Pour une petite fille, le depart d'un vieux
monsieur n'est jamais une chose bien grave!
JEANNE. Un vieux monsieur? Mais je vous defends de traiter ainsi
mon mari ... On voit bien que vous ne le connaissez pas. Si vous
pouviez l'apprecier, vous sauriez qu'il est le plus brillant officier de
notre marine et que je serais, moi, un monstre si je n'etais pas
extremement fiere d'etre sa femme. Vous sauriez que je suis devant lui
comme un enfant qui a trouve dans son sabot de Noel un cadeau
magnifique, beaucoup trop magnifique, bien au-dessus de son
intelligence et de son age. Il le regarde avec respect et il est impatient
de grandir pour le connaitre tout a fait ...
CORLAIX. Le petit Noel s'est trompe ...
JEANNE. Le petit Noel ne se trompe jamais!
[Un temps. Corlaix medite, le regard perdu. Tous les mots lui ont fait
mal.]
JEANNE [qui tripote d'une main les feuilles qui sont sur le bureau,
changeant de ton]. Oh! mais c'est un scandale abominable! Une
etrangere au milieu de ces documents secrets! Vous la cherchez? Mais
c'est cette affreuse petite patte, cette intrigante!... Oh! moi, je sais bien
ce qu'elle veut, et vous Fred, vous ne devinez pas? Allons, vite, vous
voyez bien que je fais le guet. [Pendant qu'elle surveille les joueurs,
Corlaix qui a compris s'empare de la main de Jeanne et la baise avec
passion. Jeanne eclate de rire, triomphante.]
CORLAIX. Enfant!
JEANNE. Pas plus que vous.
[Depuis un instant, il y a de sourdes rumeurs de dispute a la chambre de
bridge. Jeanne se sauve vers le sabord, s'assied et regarde au dehors.]
VERTILLAC. C'est trop fort! [A Corlaix.] Commandant, je reclame
votre arbitrage.
BIRODART. Moi aussi.
CORLAIX [allant a eux]. Qu'est-ce que c'est?
VERTILLAC. Birodart est mon partenaire. Je lui annonce une longueur
de carreau.
BIRODART. Pardon, pardon, mon cher,
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