La vampire | Page 9

Paul H. C. Féval
sans hésiter la porte de l'église Saint-Louis.
La brume tombait déjà dans cette rue étroite. A l'ombre de l'église et devant le portail, il y avait un riche équipage qui allumait ses lanternes d'argent.
La République dormait, prête à s'éveiller Empire. Elle avait fait trêve un peu au luxe extravagant du Directoire, mais elle ne proscrivait en aucune fa?on les allures seigneuriales. La voiture arrêtée à la porte de l'église Saint-Louis e?t fait honneur à un prince. L'attelage était splendide, le coffre d'une élégance exquise, et les livrées brillaient irréprochables.
En ce temps, la rue Saint-Louis-en-l'Ile ne se distinguait point par une animation exceptionnelle: elle desservait un quartier somnolent et presque désert; elle ne venait d'aucun centre, elle ne menait a aucune artère. Vous eussiez dit, en la voyant, la rue principale d'un chef-lieu de canton situé à cent lieues de Paris.
A l'heure où nous sommes, Paris n'a point de quartiers déserts. Le commerce s'est emparé du Marais et de l'?le Saint-Louis, Les uns disent qu'il déshonore ces magnifiques h?tels de la vieille ville, les autres qu'il les réhabilite.
A cet égard, le commerce n'a pas de parti pris. Il ne demande pas à réhabiliter, il ne craint pas de souiller. Il veut gagner de l'argent et se moque bien du reste.
Sous le Consulat, Paris ne comptait guère plus de cinq cent mille habitants. Toute cette portion orientale de la ville, abandonnée par la noblesse de robe et n'ayant point encore l'industrie, était une solitude.
A cause de cela, sans doute, le resplendissant équipage stationnant à la porte de l'église avait attiré un concours inusité de curieux: vous eussiez bien compté dans la rue une douzaine de commères et un nombre égal de bambins. Le concile en plein air était présidé par un portier.
Le portier, adonné comme ses pareils à une philosophie austère et détestant tout ce qui est beau parce qu'il était affreusement laid, pronon?ait un discours contre le luxe. Les gamins regardaient luire les lanternes et piaffer les chevaux; les commères se disaient: Si le ciel était juste, nous éclabousserions aussi le pauvre monde!
--S'il vous pla?t, demanda le patron des ma?ons du Marché Neuf, à qui appartient cette voiture?
Gamins, commères et portier le toisèrent de la tête aux pieds.
--Celui-là n'est pas du quartier, dirent les gamins.
--Est-il chargé de faire la police? demanda une commère.
--Comment vous nomme-t-on, l'ami? interrogea le portier, nous n'avons pas de comptes à rendre à des étrangers.
Car les gens de Paris sont des étrangers pour ces farouches insulaires _penitùs toto divisos orbe_, séparés du reste de l'univers par les deux bras de la Seine.
A l'instant où le patron allait répondre, la porte de l'église s'ouvrit, et il recula de trois pas en laissant échapper un cri de surprise, comme si un spectre lui e?t apparu.
C'était, en tous cas, un fant?me charmant: une femme toute jeune et toute belle, dont les cheveux blonds tombaient en boucles gracieuses autour d'un adorable visage.
Cette femme donnait le bras à un jeune homme de vingt-cinq à trente ans, qui n'était point celui que suivait naguère notre fillette, et que vous eussiez jugé Allemand à certains détails de son costume.
--Ramberg!... murmura le patron.
La délicieuse blonde était assise déjà sur les coussins de la voiture où le jeune Allemand prit place à c?té d'elle. Une voix sonore et douce commanda:
--A l'h?tel!
Et la portière se referma.
Les beaux chevaux prirent aussit?t le trot de parade dans la direction du Pont-Marie.
--Je vous dis que c'est une ci-devant! affirma le portier.
--Non pas! riposta une commère, c'est une duchesse de Turquie ou d'ailleurs.
--Une espionne de Pitt et Cobourg peut-être!...
Les gamins, à qui on avait jeté des pièces blanches, couraient après l'équipage en criant avec ferveur:
--Vive la princesse!
Le patron resta un moment immobile. Son regard était baissé; on lisait sur son front pale le travail de sa pensée.
--Ramberg! répéta-t-il. Qui est cette femme? Et qui me donnera le mot de l'énigme?... On croyait le baron de Ramberg parti depuis huit jours, et voilà plus de deux semaines que le comte Wenzel a disparu... La femme avec qui je le vis était brune, mais c'était le même regard...
Sans s'inquiéter davantage du petit rassemblement qui l'examinait désormais avec défiance, il monta tout pensif les marches de l'église et en franchit le seuil.
L'église semblait complètement déserte. Les derniers rayons du jour envoyaient à peine, à travers les vitres, de sombres et incertaines lueurs. La lampe perpétuelle laissait battre sa lueur toujours mourante au-devant du ma?tre-autel. Pas un bruit n'indiquait dans la nef la présence d'un être humain.
Le patron était pourtant bien s?r d'avoir vu entrer la jeune fille, et si la jeune fille était entrée, ce devait être sur les traces de celui qu'elle suivait.
Le patron avait déjà parcouru l'un des bas-c?tés, visitant de l'oeil chaque chapelle, et la moitié de l'autre, lorsqu'une main le toucha au passage, sortant de l'ombre d un pilier.
Il s'arrêta, mais
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