n'avais jamais vu ce que mon hôte me montra tout d'abord,
et je n'y pus trouver aucune signification. Sur une table se trouvaient
toutes sortes de figures informes de chiens, de vaches, d'oiseaux, de
chevaux et d'autres animaux, très-grossièrement taillés au couteau dans
du bois blanc. Sur un morceau de velours bleu s'étalaient deux ou trois
figures assez rares, à côté d'une de ces boîtes d'opale où les femmes
mettent des pastilles de menthe ou des dragées de citron. On y voyait
aussi un couteau à manche de nacre, et plusieurs médailles d'or et
d'argent avec des rubans verts fanés.
En faisant le tour de la chambre, je vis successivement le long des murs
toutes les _études_ ordinaires des jeunes élèves de l'académie d'Anvers:
des nez, des oreilles, des mains, des têtes, puis des figures entières; plus
loin, tout cela se trouvait reproduit en terre glaise séchée, puis aussi en
plâtre.
Je ne vis qu'une seule composition caractéristique; au bout de cette
chambre. L'artiste y attachait sans doute beaucoup de prix, car il l'avait
enfermée dans une armoire vitrée pour la garder de la poussière et de
l'humidité. C'était un groupe en plâtre représentant une jeune femme
qui pose la main gauche sur la tête d'un enfant; tandis que l'autre,
étendue en avant, semble montrer à cet enfant la route de l'avenir. Dans
le sourire protecteur de la femme, et dans l'expression reconnaissante
des traits de l'enfant, il y avait un sentiment profond et presque
mystérieux qui m'émut et me fit rêver.
Après avoir regardé quelque temps en silence cette oeuvre singulière, je
dis à mon hôte:
--Cette statue n'est pas une création de fantaisie, quoiqu'elle ne soit pas
conçue non plus d'après les règles classiques. La nature seule a été le
modèle de l'artiste. N'est-il pas vrai, monsieur, cette femme a vécu?
--Elle a vécu, répéta le vieillard avec un soupir dont le son étrange me
surprit.
--Quoi! m'écriai-je, je vois l'image de la femme qui repose...?
--Qui repose sous la tombe de fer;
--Elle était donc belle?
--Belle comme le rêve éternel des poètes.
Je me tus, craignant d'attrister le vieillard par mes questions indiscrètes.
Il alla au fond de la chambre, ouvrit une grande porta et dit:
--Jusqu'à présent vous n'avez vu que les études de l'élève: souvenirs qui
font ma vie, pourtant: Entrez, vous pourrez juger aussi l'artiste. Ce
serait une véritable joie pour lui si ses oeuvres pouvaient lui assurer
votre approbation ou du moins votre sympathie.
La salle où il me fit entrer était éclairée par le haut un grand nombre de
statues de marbre et d'albâtre dont la vue me frappa d'admiration au
premier coup d'oeil.
Toutes ces oeuvres étaient évidemment l'expression d'une même pensée
reproduite sous des formes diverses. Il n'y en avait aucune qui ne parlât
de la mort et de la résurrection à une vie meilleure. C'était un ange aux
ailes déployées qui portait vers sa céleste patrie une jeune fille
endormie;--c'était le génie de l'immortalité ouvrant une tombe et
montrant à l'âme réveillée le chemin de la lumière;--c'était cette même
jeune fille se dressant à moitié hors d'une tombe, et étendant les mains
avec un sourire de désir, comme si elle appelait quelqu'un;--c'était un
jeune garçon agenouillé sur une pierre tumulaire, et tenant embrassée
une ancre symbolique;--c'était l'oiseau Phénix, s'élevant avec des forces
nouvelles du bûcher qui a consumé sa dépouille vieillie;--c'étaient enfin
beaucoup de figures représentant sous une forme saisissante l'image de
la vie future après la mort.
Toutes ces compositions respiraient la sincérité profonde du sentiment
de leur auteur, et semblaient vivre, non point par la perfection de leur
forme corporelle, mais par quelque chose de plus élevé, par l'empreinte
de l'âme que l'artiste avait imprimée dans toutes les parties de son
oeuvre, en y versant un reflet de sa propre âme. Les formes des statues
étaient à la vérité grêles et maigres, mais il y avait dans l'ensemble de
ces créations une expression de pensée si parfaite, des proportions si
harmonieuses, tant de naturel et néanmoins tant de poésie, qu'en les
regardant je me sentis comme transporté dans un monde de pensées
mystiques et presque surhumaines.
--Que tout cela est beau! m'écriai-je enthousiasmé. Monsieur, vous ne
devez pas tenir plus longtemps cachés ces chefs-d'oeuvre sublimes.
Enrichissez d'un nom illustre le livre d'or de votre patrie, ajoutez un
brillant fleuron à sa couronne artistique!
Il sourit à mon exclamation; l'impression favorable que son talent avait
produite sur moi parut lui faire plaisir; mais une sorte de raillerie
ironique brillait dans son regard, comme pour me taxer d'exagération.
--Je dis la vérité, croyez-moi, repris-je. Exposez vos ouvrages, et un cri
d'admiration s'élèvera de la foule des artistes. S'ils ont été égarés
autrefois par l'admiration exclusive des formes extérieures, il y a
aujourd'hui une grande tendance vers des idées moins plastiques;
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