La tombe de fer | Page 3

Hendrik Conscience
de voyage, et, comme il tenait la t��te et le regard baiss��s, je pus l'observer et l'examiner �� loisir.
Il n'y avait rien de bien remarquable en lui. Il paraissait avoir pass�� la soixantaine; ses cheveux ��taient blancs comme l'argent, et son dos me parut l��g��rement vo?t��. Les traits de son visage ��taient doux et portaient les traces d'une beaut�� fl��trie. Ses v��tements simples, mais riches, ��taient ceux d'un homme qui appartient �� la bonne bourgeoisie.--L'immobilit�� de ses yeux grands ouverts, un sourire qui se jouait parfois sur ses l��vres, et le pli de la r��flexion au-dessus de ses sourcils indiquaient qu'il ��tait pr��occup�� en ce moment d'une pens��e absorbante.
Ce qui attira plus particuli��rement mon attention, c'est un petit bloc d'albatre plac�� �� c?t�� de lui sur le banc. Comme cet objet, encore informe, ressemblait assez bien au socle d'une pendule, et que je voyais trois ou quatre instruments en acier d'une forme particuli��re sortir en partie d'un papier plac�� pr��s du morceau d'albatre, je crus ne pas me tromper en concluant que mon compagnon de voyage devait ��tre un horloger.
Apr��s un long silence, je me hasardai �� lui adresser cette phrase banale:
--Il fait bien chaud aujourd'hui, n'est-ce pas, monsieur?
Il sursauta comme s'il s'��veillait d'un r��ve, se tourna vers moi et r��pondit avec un sourire aimable:
--En effet, il fait tr��s-chaud, monsieur.
Puis il d��tourna les yeux de nouveau et reprit sa position premi��re.
Je ne me sentais pas grande envie de faire plus ample connaissance avec un homme qui ��tait si avare de ses paroles et si peu port�� �� la conversation. D'ailleurs, son visage, que je venais seulement de voir enti��rement, m'avait inspir�� une sorte de respect, �� cause de la majest�� empreinte dans tous ses traits, o�� se lisaient les signes du g��nie et du sentiment.
Je me blottis dans un coin de la diligence, je fermai les yeux, et je r��vai tant et si bien, que je finis par m'assoupir.
--Les voyageurs pour Bodeghem! cria le conducteur en ouvrant la porti��re.
Je sautai sur la chauss��e et payai ma place. Le conducteur remonta sur son si��ge, fouetta ses chevaux, et me cria en guise d'adieu:
--Bon voyage, monsieur Conscience! et ne racontez pas trop de fables sur la tombe de fer.
Tout ��tonn��, je suivis des yeux le conducteur. Qui pouvait avoir r��v��l�� le but de mon voyage, puisque, tout le long de ma route, je n'en avais dit mot �� personne?
Une voix qui pronon?ait mon nom derri��re moi me fit retourner la t��te.
Je vis s'approcher, le chapeau �� la main, le sourire aux l��vres, et son bloc d'albatre sous le bras, mon singulier compagnon de la diligence. Il ��tait sans doute descendu apr��s moi sans que je l'eusse remarqu��.
Il me salua d'un air cordial, et me dit:
--Vous ��tes M. Conscience, le chantre de notre humble Campine? Excusez mon importunit�� et permettez-moi de vous serrer la main; il y a si longtemps que je souhaitais de vous voir....
Je balbutiai quelques paroles pour remercier le bon vieillard de son amabilit��.
--Et vous allez �� Bodeghem? demanda-t-il.
--Oui; mais je n'y resterai pas longtemps; je compte ��tre �� Benkelhout avant ce soir, pour y passer la nuit.
--J'aurai du moins le bonheur d'��tre votre compagnon de route, et peut-��tre votre guide jusqu'�� Bodeghem; car vous n'��tes pas encore venu dans notre pauvre petit village oubli��?
--Non, monsieur, pas encore, et c'est avec plaisir que je profiterai de votre obligeance, �� condition que vous me permettrez de vous d��charger de cette pierre.
--N'y faites pas attention: mes cheveux son blancs, et mon dos commence �� se vo?ter, mais les jambes et le coeur sont encore bons.
J'insistai pour porter la pierre, en invoquant son grand age, mes forces plus juv��niles et le respect que l'on doit �� la vieillesse; mais il s'excusa et se d��fendit avec t��nacit��; enfin, je lui pris son fardeau presque de force et l'obligeai ainsi de me suivre sur la route sablonneuse.
Pour mettre un terme aux t��moignages de son regret, je lui demandai:
--Ce bloc d'albatre est destin��, sans doute, �� la base d'une pendule? Monsieur est probablement horloger?
--Horloger? r��pondit-il en riant. Non, je suis sculpteur.
--Vraiment! je suis donc en compagnie d'un artiste? J'en suis charm��.
--Un amateur, monsieur.
--Et vous demeurez �� Bodeghem depuis longtemps d��j��?
--Depuis au moins quarante ans.
--Peut-��tre votre nom ne m'est-il pas inconnu.
Le vieillard secoua la t��te, et r��pondit apr��s une pause:
--Vous ��tes encore trop jeune, monsieur, pour conna?tre mon nom. Ce n'est pas que, dans le monde des arts, on n'ait fait quelque bruit autour de ce nom; mais cela ne dura pas longtemps; plus de trente ans se sont ��coul��s depuis.
--N'avez-vous jamais expos�� quelqu'une de vos oeuvres? demandai-je.
--Une seule fois. C'��tait en 1824. Il y avait un grand mouvement dans le domaine des arts, parce que la paix donnait l'essor �� toutes les forces vives de la nation. Malheureusement, chacun ��tait assujetti �� ces r��gles ��troites que
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