La reine Margot - Tome II | Page 8

Alexandre Dumas
sortie! car elle est sortie,
dites-vous?
-- Depuis une demi-heure, madame.
-- Tout est pour le mieux; allez.
Gillonne salua et sortit.
-- Continuez votre lecture, Charlotte, dit la reine. Madame de Sauve
continua. Au bout de dix minutes Catherine interrompit la lecture.
-- Ah! à propos, dit-elle, qu’on renvoie les gardes de la galerie. C’était
le signal qu’attendait Maurevel. On exécuta l’ordre de la reine mère, et
madame de Sauve continua son histoire.
Elle avait lu un quart d’heure à peu près sans interruption aucune,
lorsqu’un cri long, prolongé, terrible, parvint jusque dans la chambre
royale et fit dresser les cheveux sur la tête des assistants.
Un coup de pistolet le suivit immédiatement.

-- Qu’est-ce cela, dit Catherine, et pourquoi ne lisez-vous plus,
Carlotta?
-- Madame, dit la jeune femme pâlissante, n’avez-vous point entendu?
-- Quoi? demanda Catherine.
-- Ce cri?
-- Et ce coup de pistolet? ajouta le capitaine des gardes.
-- Un cri, un coup de pistolet, ajouta Catherine, je n’ai rien entendu,
moi... D’ailleurs, est-ce donc une chose bien extraordinaire au Louvre
qu’un cri et qu’un coup de pistolet? Lisez, lisez, Carlotta.
-- Mais écoutez, madame, dit celle-ci, tandis que M. de Nancey se
tenait debout la main à la poignée de son épée et n’osant sortir sans le
congé de la reine; écoutez, on entend des pas, des imprécations.
-- Faut-il que je m’informe, madame? dit ce dernier.
-- Point du tout, monsieur, restez là, dit Catherine en se soulevant sur
une main comme pour donner plus de force à son ordre. Qui donc me
garderait en cas d’alarme? Ce sont quelques Suisses ivres qui se
battent.
Le calme de la reine, opposé à la terreur qui planait sur toute cette
assemblée, formait un contraste tellement remarquable que, si timide
qu’elle fût, madame de Sauve fixa un regard interrogateur sur la reine.
-- Mais, madame, s’écria-t-elle, on dirait que l’on tue quelqu’un.
-- Et qui voulez-vous qu’on tue?
-- Mais le roi de Navarre, madame; le bruit vient du côté de son
appartement.
-- La sotte! murmura la reine, dont les lèvres, malgré sa puissance sur
elle-même, commençaient à s’agiter étrangement, car elle marmottait
une prière; la sotte voit son roi de Navarre partout.
-- Mon Dieu! mon Dieu! dit madame de Sauve en retombant sur son
fauteuil.
-- C’est fini, c’est fini, dit Catherine. Capitaine, continua-t- elle en
s’adressant à M. de Nancey, j’espère que, s’il y a du scandale dans le
palais, vous ferez demain punir sévèrement les coupables. Reprenez
votre lecture, Carlotta.
Et Catherine retomba elle-même sur son oreiller dans une impassibilité
qui ressemblait beaucoup à de l’affaissement, car les assistants
remarquèrent que de grosses gouttes de sueur roulaient sur son visage.
Madame de Sauve obéit à cet ordre formel; mais ses yeux et sa voix

fonctionnaient seuls. Sa pensée errante sur d’autres objets lui
représentait un danger terrible suspendu sur une tête chérie. Enfin,
après quelques minutes de ce combat, elle se trouva tellement
oppressée entre l’émotion et l’étiquette que sa voix cessa d’être
intelligible; le livre lui tomba des mains, elle s’évanouit.
Soudain un fracas plus violent se fit entendre; un pas lourd et pressé
ébranla le corridor; deux coups de feu partirent faisant vibrer les vitres;
et Catherine, étonnée de cette lutte prolongée outre mesure, se dressa à
son tour, droite, pâle, les yeux dilatés; et au moment où le capitaine des
gardes allait s’élancer dehors, elle l’arrêta en disant:
-- Que tout le monde reste ici, j’irai moi-même voir là-bas ce qui se
passe. Voilà ce qui se passait, ou plutôt ce qui s’était passé:
De Mouy avait reçu le matin des mains d’Orthon la clef de Henri. Dans
cette clef, qui était forée, il avait remarqué un papier roulé. Il avait tiré
le papier avec une épingle.
C’était le mot d’ordre du Louvre pour la prochaine nuit. En outre,
Orthon lui avait verbalement transmis les paroles de Henri qui
invitaient de Mouy à venir trouver à dix heures le roi au Louvre. À neuf
heures et demie, de Mouy avait revêtu une armure dont il avait plus
d’une fois déjà eu l’occasion de reconnaître la solidité; il avait
boutonné dessus un pourpoint de soie, avait agrafé son épée, passé dans
le ceinturon ses pistolets, recouvert le tout du fameux manteau cerise de
La Mole.
Nous avons vu comment, avant de rentrer chez lui, Henri avait jugé à
propos de faire une visite à Marguerite, et comment il était arrivé par
l’escalier secret juste à temps pour heurter La Mole dans la chambre à
coucher de Marguerite, et pour prendre sa place aux yeux du roi dans la
salle à manger. C’était précisément au moment même que, grâce au
mot d’ordre envoyé par Henri et surtout au fameux manteau cerise, de
Mouy traversait le guichet du Louvre.
Le jeune homme
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