Tu crois donc qu’on lui aura parlé de moi?
-- J’ai peur, au contraire, qu’on ne lui en ait dit trop de bien. Mais ce
n’est point de tout cela qu’il s’agit, je crois que ces dames ont un
pèlerinage à faire du côté de la rue du Roi-de- Sicile, et que nous
conduisons les pèlerines.
-- Mais, impossible! ... Tu le sais bien.
-- Comment, impossible?
-- Eh! oui, nous sommes de service chez son Altesse Royale.
-- Mordi, c’est ma foi vrai; j’oublie toujours que nous sommes en grade,
et que de gentilshommes que nous étions nous avons eu l’honneur de
passer valets.
Et les deux amis allèrent exposer à la reine et à la duchesse la nécessité
où ils étaient d’assister au moins au coucher de monsieur le duc.
-- C’est bien, dit madame de Nevers, nous partons de notre côté.
-- Et peut-on savoir où vous allez? demanda Coconnas.
-- Oh! vous êtes trop curieux, dit la duchesse. _Quaere et invenies._ _ _
Les deux jeunes gens saluèrent et montèrent en toute hâte chez M.
d’Alençon.
Le duc semblait les attendre dans son cabinet.
-- Ah! ah! dit-il, vous voilà bien tard, messieurs.
-- Dix heures à peine, Monseigneur, dit Coconnas. Le duc tira sa
montre.
-- C’est vrai, dit-il. Tout le monde est couché au Louvre, cependant.
-- Oui, Monseigneur, mais nous voici à vos ordres. Faut-il introduire
dans la chambre de Votre Altesse les gentilshommes du petit coucher?
-- Au contraire, passez dans la petite salle et congédiez tout le monde.
Les deux jeunes gens obéirent, exécutèrent l’ordre donné, qui n’étonna
personne à cause du caractère bien connu du duc, et revinrent près de
lui.
-- Monseigneur, dit Coconnas, Votre Altesse va sans doute se mettre au
lit ou travailler?
-- Non, messieurs; vous avez congé jusqu’à demain.
-- Allons, allons, dit tout bas Coconnas à l’oreille de La Mole, la cour
découche ce soir, à ce qu’il paraît; la nuit sera friande en diable,
prenons notre part de la nuit.
Et les deux jeunes gens montèrent les escaliers quatre à quatre, prirent
leurs manteaux et leurs épées de nuit, et s’élancèrent hors du Louvre à
la poursuite des deux dames, qu’ils rejoignirent au coin de la rue du
Coq-Saint-Honoré.
Pendant ce temps, le duc d’Alençon, l’oeil ouvert, l’oreille au guet,
attendait, enfermé dans sa chambre, les événements imprévus qu’on lui
avait promis.
III Dieu dispose
Comme l’avait dit le duc aux jeunes gens, le plus profond silence
régnait au Louvre.
En effet, Marguerite et madame de Nevers étaient parties pour la rue
Tizon. Coconnas et La Mole s’étaient mis à leur poursuite. Le roi et
Henri battaient la ville. Le duc d’Alençon se tenait chez lui dans
l’attente vague et anxieuse des événements que lui avait prédits la reine
mère. Enfin Catherine s’était mise au lit, et madame de Sauve, assise à
son chevet, lui faisait lecture de certains contes italiens dont riait fort la
bonne reine.
Depuis longtemps Catherine n’avait été de si belle humeur. Après avoir
fait de bon appétit une collation avec ses femmes, après avoir réglé les
comptes quotidiens de sa maison, elle avait ordonné une prière pour le
succès de certaine entreprise importante, disait-elle, pour le bonheur de
ses enfants; c’était l’habitude de Catherine, habitude, au reste toute
florentine, de faire dire dans certaines circonstances des prières et des
messes dont Dieu et elle savaient seuls le but.
Enfin elle avait revu René, et avait choisi, dans ses odorants sachets et
dans son riche assortiment, plusieurs nouveautés.
-- Qu’on sache, dit Catherine, si ma fille la reine de Navarre est chez
elle; et si elle y est, qu’on la prie de venir me faire compagnie.
Le page auquel cet ordre était adressé sortit, et un instant après il revint
accompagné de Gillonne.
-- Eh bien, dit la reine mère, j’ai demandé la maîtresse et non la
suivante.
-- Madame, dit Gillonne, j’ai cru devoir venir moi-même dire à Votre
Majesté que la reine de Navarre est sortie avec son amie la duchesse de
Nevers...
-- Sortie à cette heure! reprit Catherine en fronçant le sourcil; et où
peut-elle être allée?
-- À une séance d’alchimie, répondit Gillonne, laquelle doit avoir lieu à
l’hôtel de Guise, dans le pavillon habité par madame de Nevers.
-- Et quand rentrera-t-elle? demanda la reine mère.
-- La séance se prolongera fort avant dans la nuit, répondit Gillonne, de
sorte qu’il est probable que Sa Majesté demeurera demain matin chez
son amie.
-- Elle est heureuse, la reine de Navarre, murmura Catherine, elle a des
amies et elle est reine; elle porte une couronne, on l’appelle Votre
Majesté, et elle n’a pas de sujets; elle est bien heureuse.
Après cette boutade, qui fit sourire intérieurement les auditeurs:
-- Au reste, murmura Catherine, puisqu’elle est
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.