La reine Margot - Tome II | Page 3

Alexandre Dumas
la
mort de l’amiral; vous, un huguenot converti, mal converti, on le
croyait du moins, vous lèveriez le couteau sur vos frères! Henri, Henri,
en faisant cela, savez-vous que vous livrez à une seconde
Saint-Barthélemy tous les calvinistes du royaume? Savez-vous que
Catherine n’attend qu’une occasion pareille pour exterminer tout ce qui
a survécu?

Et le duc tremblant, le visage marbré de plaques rouges et livides,
pressait la main de Henri pour le supplier de renoncer à cette solution,
qui le perdait.
-- Comment! dit Henri avec une expression de parfaite bonhomie, vous
croyez, François, qu’il arriverait tant de malheurs? Avec la parole du
roi, cependant, il me semble que je garantirais les imprudents.
-- La parole du roi Charles IX, Henri! ... Eh! l’amiral ne l’avait-il pas?
Téligny ne l’avait-il pas? Ne l’aviez-vous pas vous-même? Oh! Henri,
c’est moi qui vous le dis: si vous faites cela, vous les perdez tous; non
seulement eux, mais encore tout ce qui a eu des relations directes ou
indirectes avec eux.
Henri parut réfléchir un moment.
-- Si j’eusse été un prince important à la cour, dit-il, j’eusse agi
autrement. À votre place, par exemple, à votre place, à vous, François,
fils de France, héritier probable de la couronne...
François secoua ironiquement la tête.
-- À ma place, dit-il que feriez-vous?
-- À votre place, mon frère, répondit Henri, je me mettrais à la tête du
mouvement pour le diriger. Mon nom et mon crédit répondraient à ma
conscience de la vie des séditieux, et je tirerais utilité pour moi d’abord
et pour le roi ensuite, peut- être, d’une entreprise qui, sans cela, peut
faire le plus grand mal à la France.
D’Alençon écouta ces paroles avec une joie qui dilata tous les muscles
de son visage.
-- Croyez-vous, dit-il, que ce moyen soit praticable, et qu’il nous
épargne tous ces désastres que vous prévoyez?
-- Je le crois, dit Henri. Les huguenots vous aiment: votre extérieur
modeste, votre situation élevée et intéressante à la fois, la bienveillance
enfin que vous avez toujours témoignée à ceux de la religion, les
portent à vous servir.
-- Mais, dit d’Alençon, il y a schisme dans le parti. Ceux qui sont pour
vous seront-ils pour moi?
-- Je me charge de vous les concilier par deux raisons.
-- Lesquelles?
-- D’abord, par la confiance que les chefs ont en moi; ensuite, par la
crainte où ils seraient que Votre Altesse, connaissant leurs noms...
-- Mais ces noms, qui me les révèlera?

-- Moi, ventre-saint-gris!
-- Vous feriez cela?
-- Écoutez, François, je vous l’ai dit, continua Henri, je n’aime que
vous à la cour: cela vient sans doute de ce que vous êtes persécuté
comme moi; et puis, ma femme aussi vous aime d’une affection qui n’a
pas d’égale...
François rougit de plaisir.
-- Croyez-moi, mon frère, continua Henri, prenez cette affaire en main,
régnez en Navarre; et pourvu que vous me conserviez une place à votre
table et une belle forêt pour chasser, je m’estimerai heureux.
-- Régner en Navarre! dit le duc; mais si...
-- Si le duc d’Anjou est nommé roi de Pologne, n’est-ce pas? J’achève
votre pensée. François regarda Henri avec une certaine terreur.
-- Eh bien, écoutez, François! continua Henri; puisque rien ne vous
échappe, c’est justement dans cette hypothèse que je raisonne: si le duc
d’Anjou est nommé roi de Pologne, et que notre frère Charles, que
Dieu conserve! vienne à mourir, il n’y a que deux cents lieues de Pau à
Paris, tandis qu’il y en a quatre cents de Paris à Cracovie; vous serez
donc ici pour recueillir l’héritage juste au moment où le roi de Pologne
apprendra qu’il est vacant. Alors, si vous êtes content de moi, François,
vous me donnerez ce royaume de Navarre, qui ne sera plus qu’un des
fleurons de votre couronne; de cette façon, j’accepte. Le pis qui puisse
vous arriver, c’est de rester roi là-bas et de faire souche de rois en
vivant en famille avec moi et ma famille, tandis qu’ici, qu’êtes-vous?
un pauvre prince persécuté, un pauvre troisième fils de roi, esclave de
deux aînés et qu’un caprice peut envoyer à la Bastille.
-- Oui, oui, dit François, je sens bien cela, si bien que je ne comprends
pas que vous renonciez à ce plan que vous me proposez. Rien ne bat
donc là?
Et le duc d’Alençon posa la main sur le coeur de son frère.
-- Il y a, dit Henri en souriant, des fardeaux trop lourds pour certaines
mains; je n’essaierai pas de soulever celui-là; la crainte de la fatigue me
fait passer l’envie de la possession.
-- Ainsi, Henri, véritablement vous renoncez?
-- Je l’ai dit à de Mouy et je vous le répète.
-- Mais en pareille circonstance, cher frère, dit d’Alençon, on ne dit pas,
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