masse colossale du vieux Louvre, dont
toute les lumières s’étaient successivement éteintes, et qui se dressait, à
cette heure, formidable de silence et d’obscurité.
En avant du château royal s’étendait un fossé profond, sur lequel
donnaient la plupart des chambres des princes logés au palais.
L’appartement de Marguerite était situé au premier étage.
Mais ce premier étage, accessible s’il n’y eût point eu de fossé, se
trouvait, grâce au retranchement, élevé de près de trente pieds, et, par
conséquent, hors de l’atteinte des amants et des voleurs, ce qui
n’empêcha point M. le duc de Guise de descendre résolument dans le
fossé.
Au même instant, on entendit le bruit d’une fenêtre du rez-de- chaussée
qui s’ouvrait. Cette fenêtre était grillée; mais une main parut, souleva
un des barreaux descellés d’avance, et laissa pendre, par cette ouverture,
un lacet de soie.
-- Est-ce vous, Gillonne? demanda le duc à voix basse.
-- Oui, Monseigneur, répondit une voix de femme d’un accent plus bas
encore.
-- Et Marguerite?
-- Elle vous attend.
-- Bien. À ces mots le duc fit signe à son page, qui, ouvrant son
manteau, déroula une petite échelle de corde. Le prince attacha l’une
des extrémités de l’échelle au lacet qui pendait. Gillonne tira l’échelle à
elle, l’assujettit solidement; et le prince, après avoir bouclé son épée à
son ceinturon, commença l’escalade, qu’il acheva sans accident.
Derrière lui, le barreau reprit sa place, la fenêtre se referma, et le page,
après avoir vu entrer paisiblement son seigneur dans le Louvre, aux
fenêtres duquel il l’avait accompagné vingt fois de la même façon,
s’alla coucher, enveloppé dans son manteau, sur l’herbe du fossé et à
l’ombre de la muraille. Il faisait une nuit sombre, et quelques gouttes
d’eau tombaient tièdes et larges des nuages chargés de soufre et
d’électricité.
Le duc de Guise suivit sa conductrice, qui n’était rien moins que la fille
de Jacques de Matignon, maréchal de France; c’était la confidente toute
particulière de Marguerite, qui n’avait aucun secret pour elle, et l’on
prétendait qu’au nombre des mystères qu’enfermait son incorruptible
fidélité, il y en avait de si terribles que c’étaient ceux-là qui la forçaient
de garder les autres.
Aucune lumière n’était demeurée ni dans les chambres basses ni dans
les corridors; de temps en temps seulement un éclair livide illuminait
les appartements sombres d’un reflet bleuâtre qui disparaissait aussitôt.
Le duc, toujours guidé par sa conductrice qui le tenait par la main,
atteignit enfin un escalier en spirale pratiqué dans l’épaisseur d’un mur
et qui s’ouvrait par une porte secrète et invisible dans l’antichambre de
l’appartement de Marguerite.
L’antichambre, comme les autres salles du bas, était dans la plus
profonde obscurité.
Arrivés dans cette antichambre, Gillonne s’arrêta.
-- Avez-vous apporté ce que désire la reine? demanda-t-elle à voix
basse.
-- Oui, répondit le duc de Guise; mais je ne le remettrai qu’à Sa Majesté
elle-même.
-- Venez donc et sans perdre un instant! dit alors au milieu de
l’obscurité une voix qui fit tressaillir le duc, car il la reconnut pour celle
de Marguerite.
Et en même temps une portière de velours violet fleurdelisé d’or se
soulevant, le duc distingua dans l’ombre la reine elle-même, qui,
impatiente, était venue au-devant de lui.
-- Me voici, madame, dit alors le duc. Et il passa rapidement de l’autre
côté de la portière qui retomba derrière lui. Alors ce fut, à son tour, à
Marguerite de Valois de servir de guide au prince dans cet appartement
d’ailleurs bien connu de lui, tandis que Gillonne, restée à la porte, avait,
en portant le doigt à sa bouche, rassuré sa royale maîtresse. Comme si
elle eût compris les jalouses inquiétudes du duc, Marguerite le
conduisit jusque dans sa chambre à coucher; là elle s’arrêta.
-- Eh bien, lui dit-elle, êtes-vous content, duc?
-- Content, madame, demanda celui-ci, et de quoi, je vous prie?
-- De cette preuve que je vous donne, reprit Marguerite avec un léger
accent de dépit, que j’appartiens à un homme qui, le soir de son
mariage, la nuit même de ses noces, fait assez peu de cas de moi pour
n’être pas même venu me remercier de l’honneur que je lui ai fait non
pas en le choisissant, mais en l’acceptant pour époux.
-- Oh! madame, dit tristement le duc, rassurez-vous, il viendra, surtout
si vous le désirez.
-- Et c’est vous qui dites cela, Henri, s’écria Marguerite, vous qui, entre
tous, savez le contraire de ce que vous dites! Si j’avais le désir que vous
me supposez, vous eussé-je donc prié de venir au Louvre?
-- Vous m’avez prié de venir au Louvre, Marguerite, parce que vous
avez le désir d’éteindre tout vestige de notre passé, et que ce passé
vivait non seulement dans mon coeur, mais dans ce coffre d’argent que
je vous rapporte.
-- Henri, voulez-vous
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