une chambre pour me le garder jusqu'à ce soir.
L'autre se troubla, balbutiant: «Oui, non... non.... A vrai dire, j'aime
mieux qu'il n'entre pas chez moi... à cause... à cause de mes
domestiques... qui... qui parlent déjà de revenants dans... dans ma tour,
dans la tour du Renard.... Vous savez.... Je ne pourrais plus en garder
un seul.... Non.... J'aime mieux ne pas l'avoir chez moi.»
Le magistrat se mit à sourire: «Bon.... Je vais le faire emporter tout de
suite à Roüy, pour l'examen légal.» Et se tournant vers le substitut: «Je
peux me servir de votre voiture, n'est-ce pas?
--Oui, parfaitement.»
Tout le monde revint vers le cadavre. La Roque maintenant, assise à
côté de sa fille, lui tenait la main, et elle regardait devant elle, d'un oeil
vague et hébété.
Les deux médecins essayèrent de l'emmener pour qu'elle ne vît pas
enlever la petite; mais elle comprit tout de suite ce qu'on allait faire, et,
se jetant sur le corps, elle le saisit à pleins bras. Couchée dessus elle
criait: «Vous ne l'aurez pas, c'est à moi, c'est à moi à c't'heure. On me
l'a tuée; j' veux la garder, vous l'aurez pas!»
Tous les hommes, troublés et indécis, restaient debout autour d'elle.
Renardet se mit à genoux pour lui parler: «Écoutez, la Roque, il le faut,
pour savoir celui qui l'a tuée; sans ça on ne saurait pas; il faut bien
qu'on le cherche pour le punir. On vous la rendra quand on l'aura trouvé,
je vous le promets.»
Cette raison ébranla la femme et une haine s'éveillant dans son regard
affolé: «Alors on le prendra? dit-elle.»
--Oui, je vous le promets.
Elle se releva, décidée à laisser faire ces gens; mais le capitaine ayant
murmuré: «C'est surprenant qu'on ne retrouve pas ses vêtements», une
idée nouvelle qu'elle n'avait pas encore eue, entra brusquement dans sa
tête de paysanne et elle demanda:
--«Ous qu'é sont ses hardes; c'est à mé. Je les veux. Ous qu'on les a
mises?»
On lui expliqua comment elles demeuraient introuvables; alors elle les
réclama avec une obstination désespérée, pleurant et gémissant: «C'est
à mé, je les veux; ous qu'é sont, je les veux?»
Plus on tentait de la calmer, plus elle sanglotait, s'obstinait. Elle ne
demandait plus le corps, elle voulait les vêtements, les vêtements de sa
fille, autant peut-être par inconsciente cupidité de misérable pour qui
une pièce d'argent représente une fortune, que par tendresse maternelle.
Et quand le petit corps, roulé en des couvertures qu'on était allé
chercher chez Renardet, disparut dans la voiture, la vieille, debout sous
les arbres, soutenue par le maire et le capitaine, criait: «J'ai pu rien, pu
rien, pu rien au monde, pu rien, pas seulement son p'tit bonnet, son p'tit
bonnet; j'ai pu rien, pu rien, pas seulement son p'tit bonnet.»
Le curé venait d'arriver; un tout jeune prêtre déjà gras. Il se chargea
d'emmener la Roque, et ils s'en allèrent ensemble vers le village. La
douleur de la mère s'atténuait sous la parole sucrée de l'ecclésiastique,
qui lui promettait mille compensations. Mais elle répétait sans cesse:
«Si j'avais seulement son p'tit bonnet...» s'obstinant à cette idée qui
dominait à présent toutes les autres.
Renardet cria de loin: «Vous déjeunez avec nous, monsieur l'abbé.
Dans une heure.»
Le prêtre tourna la tête et répondit: «Volontiers, monsieur le maire. Je
serai chez vous à midi.»
Et tout le monde se dirigea vers la maison dont on apercevait à travers
les branches la façade grise et la grande tour plantée au bord de la
Brindille.
Le repas dura longtemps; on parlait du crime. Tout le monde se trouva
du même avis; il avait été accompli par quelque rôdeur, passant là par
hasard, pendant que la petite prenait un bain.
Puis les magistrats retournèrent à Roüy, en annonçant qu'ils
reviendraient le lendemain de bonne heure; le médecin et le curé
rentrèrent chez eux, tandis que Renardet, après une longue promenade
par les prairies, s'en revint sous la futaie où il se promena jusqu'à la nuit,
à pas lents, les mains derrière le dos.
Il se coucha de fort bonne heure et il dormait encore le lendemain
quand le juge d'instruction pénétra dans sa chambre. Il se frottait les
mains; il avait l'air content; il dit:
--«Ah! ah! vous dormez encore! Eh! bien, mon cher, nous avons du
nouveau ce matin.»
Le maire s'était assis sur son lit.
--Quoi donc?
--Oh! quelque chose de singulier. Vous vous rappelez bien comme la
mère réclamait, hier, un souvenir de sa fille, son petit bonnet surtout.
Eh bien, en ouvrant sa porte, ce matin, elle a trouvé, sur le seuil, les
deux petits sabots de l'enfant. Cela prouve que le crime a été commis
par quelqu'un du pays, par quelqu'un qui a eu pitié d'elle. Voilà en outre
le facteur Médéric qui m'apporte
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