La petite roque | Page 9

Guy de Maupassant
sur ses pieds, les hommes, surpris, l'interrog��rent, ne comprenant point ce qu'il avait fait. Il r��pondit, en balbutiant, qu'il avait eu un moment d'��garement, ou, plut?t, une seconde de retour �� l'enfance, qu'il s'��tait imagin�� avoir le temps de passer sous l'arbre, comme les gamins passent en courant devant les voitures au trot, qu'il avait jou�� au danger, que, depuis huit jours, il sentait cette envie grandir en lui, en se demandant, chaque fois qu'un arbre craquait pour tomber, si on pourrait passer dessous sans ��tre touch��. C'��tait une b��tise, il l'avouait; mais tout le monde a de ces minutes d'insanit�� et de ces tentations d'une stupidit�� pu��rile.
Il s'expliquait lentement, cherchant ses mots, la voix sourde; puis il s'en alla en disant: ?A demain, mes amis, �� demain.?
D��s qu'il fut rentr�� dans sa chambre, il s'assit devant sa table, que sa lampe, coiff��e d'un abat-jour, ��clairait vivement, et, prenant son front entre ses mains, il se mit �� pleurer.
Il pleura longtemps, puis s'essuya les yeux, releva la t��te et regarda sa pendule. Il n'��tait pas encore six heures. Il pensa: ?J'ai le temps avant le d?ner?, et il alla fermer sa porte �� clef. Il revint alors s'asseoir devant sa table; il fit sortir le tiroir du milieu, prit dedans un revolver et le posa sur ses papiers, en pleine clart��. L'acier de l'arme luisait, jetait des reflets pareils �� des flammes.
Renardet le contempla quelque temps avec l'oeil trouble d'un homme ivre; puis il se leva et se mit �� marcher.
Il allait d'un bout �� l'autre de l'appartement, et de temps en temps s'arr��tait pour repartir aussit?t. Soudain, il ouvrit la porte de son cabinet de toilette, trempa une serviette dans la cruche �� eau et se mouilla le front, comme il avait fait le matin du crime. Puis il se remit �� marcher. Chaque fois qu'il passait devant sa table, l'arme brillante attirait son regard, sollicitait sa main; mais il guettait la pendule et pensait: ?J'ai encore le temps.?
La demie de six heures sonna. Il prit alors le revolver, ouvrit la bouche toute grande avec une affreuse grimace, et enfon?a le canon dedans comme s'il e?t voulu l'avaler. Il resta ainsi quelques secondes, immobile, le doigt sur la gachette, puis, brusquement secou�� par un frisson d'horreur, il cracha le pistolet sur le tapis.
Et il retomba sur son fauteuil en sanglotant: ?Je ne peux pas. Je n'ose pas! Mon Dieu! Mon Dieu! Comment faire pour avoir le courage de me tuer!?
On frappait �� la porte; il se dressa, affol��. Un domestique disait: ?Le d?ner de monsieur est pr��t.? Il r��pondit: ?C'est bien. Je descends.?
Alors il ramassa l'arme, l'enferma de nouveau dans le tiroir, puis se regarda dans la glace de la chemin��e pour voir si son visage ne lui semblait pas trop convuls��. Il ��tait rouge, comme toujours, un peu plus rouge peut-��tre. Voil�� tout. Il descendit et se mit �� table.
Il mangea lentement, en homme qui veut faire tra?ner le repas, qui ne veut point se retrouver seul avec lui-m��me. Puis il fuma plusieurs pipes dans la salle pendant qu'on desservait. Puis il remonta dans sa chambre.
D��s qu'il s'y fut enferm��, il regarda sous son lit, ouvrit toutes ses armoires, explora tous les coins, fouilla tous les meubles. Il alluma ensuite les bougies de sa chemin��e, et, tournant plusieurs fois sur lui-m��me, parcourut de l'oeil tout l'appartement avec une angoisse d'��pouvante qui lui crispait la face, car il savait bien qu'il allait la voir, comme toutes les nuits, la petite Roque, la petite fille qu'il avait viol��e, puis ��trangl��e.
Toutes les nuits, l'odieuse vision recommen?ait. C'��tait d'abord dans ses oreilles une sorte de ronflement comme le bruit d'une machine �� battre ou le passage lointain d'un train sur un pont. Il commen?ait alors �� haleter, �� ��touffer, et il lui fallait d��boutonner son col de chemise et sa ceinture. Il marchait pour faire circuler le sang, il essayait de lire, il essayait de chanter; c'��tait en vain; sa pens��e, malgr�� lui, retournait au jour du meurtre, et le lui faisait recommencer dans ses d��tails les plus secrets, avec toutes ses ��motions les plus violentes de la premi��re minute �� la derni��re.
Il avait senti, en se levant, ce matin-l��, le matin de l'horrible jour, un peu d'��tourdissement et de migraine qu'il attribuait �� la chaleur, de sorte qu'il ��tait rest�� dans sa chambre jusqu'�� l'appel du d��jeuner. Apr��s le repas, il avait fait la sieste; puis il ��tait sorti vers la fin de l'apr��s-midi pour respirer la brise fra?che et calmante sous les arbres de sa futaie.
Mais, d��s qu'il fut dehors, l'air lourd et br?lant de la plaine l'oppressa davantage. Le soleil, encore haut dans le ciel, versait sur la terre calcin��e, s��che et assoiff��e, des flots de lumi��re ardente. Aucun souffle de vent ne remuait les feuilles. Toutes les b��tes,
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 54
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.