La petite roque | Page 6

Guy de Maupassant
La Roque maintenant, assise �� c?t�� de sa fille, lui tenait la main, et elle regardait devant elle, d'un oeil vague et h��b��t��.
Les deux m��decins essay��rent de l'emmener pour qu'elle ne v?t pas enlever la petite; mais elle comprit tout de suite ce qu'on allait faire, et, se jetant sur le corps, elle le saisit �� pleins bras. Couch��e dessus elle criait: ?Vous ne l'aurez pas, c'est �� moi, c'est �� moi �� c't'heure. On me l'a tu��e; j' veux la garder, vous l'aurez pas!?
Tous les hommes, troubl��s et ind��cis, restaient debout autour d'elle. Renardet se mit �� genoux pour lui parler: ?��coutez, la Roque, il le faut, pour savoir celui qui l'a tu��e; sans ?a on ne saurait pas; il faut bien qu'on le cherche pour le punir. On vous la rendra quand on l'aura trouv��, je vous le promets.?
Cette raison ��branla la femme et une haine s'��veillant dans son regard affol��: ?Alors on le prendra? dit-elle.?
--Oui, je vous le promets.
Elle se releva, d��cid��e �� laisser faire ces gens; mais le capitaine ayant murmur��: ?C'est surprenant qu'on ne retrouve pas ses v��tements?, une id��e nouvelle qu'elle n'avait pas encore eue, entra brusquement dans sa t��te de paysanne et elle demanda:
--?Ous qu'�� sont ses hardes; c'est �� m��. Je les veux. Ous qu'on les a mises??
On lui expliqua comment elles demeuraient introuvables; alors elle les r��clama avec une obstination d��sesp��r��e, pleurant et g��missant: ?C'est �� m��, je les veux; ous qu'�� sont, je les veux??
Plus on tentait de la calmer, plus elle sanglotait, s'obstinait. Elle ne demandait plus le corps, elle voulait les v��tements, les v��tements de sa fille, autant peut-��tre par inconsciente cupidit�� de mis��rable pour qui une pi��ce d'argent repr��sente une fortune, que par tendresse maternelle.
Et quand le petit corps, roul�� en des couvertures qu'on ��tait all�� chercher chez Renardet, disparut dans la voiture, la vieille, debout sous les arbres, soutenue par le maire et le capitaine, criait: ?J'ai pu rien, pu rien, pu rien au monde, pu rien, pas seulement son p'tit bonnet, son p'tit bonnet; j'ai pu rien, pu rien, pas seulement son p'tit bonnet.?
Le cur�� venait d'arriver; un tout jeune pr��tre d��j�� gras. Il se chargea d'emmener la Roque, et ils s'en all��rent ensemble vers le village. La douleur de la m��re s'att��nuait sous la parole sucr��e de l'eccl��siastique, qui lui promettait mille compensations. Mais elle r��p��tait sans cesse: ?Si j'avais seulement son p'tit bonnet...? s'obstinant �� cette id��e qui dominait �� pr��sent toutes les autres.
Renardet cria de loin: ?Vous d��jeunez avec nous, monsieur l'abb��. Dans une heure.?
Le pr��tre tourna la t��te et r��pondit: ?Volontiers, monsieur le maire. Je serai chez vous �� midi.?
Et tout le monde se dirigea vers la maison dont on apercevait �� travers les branches la fa?ade grise et la grande tour plant��e au bord de la Brindille.
Le repas dura longtemps; on parlait du crime. Tout le monde se trouva du m��me avis; il avait ��t�� accompli par quelque r?deur, passant l�� par hasard, pendant que la petite prenait un bain.
Puis les magistrats retourn��rent �� Ro��y, en annon?ant qu'ils reviendraient le lendemain de bonne heure; le m��decin et le cur�� rentr��rent chez eux, tandis que Renardet, apr��s une longue promenade par les prairies, s'en revint sous la futaie o�� il se promena jusqu'�� la nuit, �� pas lents, les mains derri��re le dos.
Il se coucha de fort bonne heure et il dormait encore le lendemain quand le juge d'instruction p��n��tra dans sa chambre. Il se frottait les mains; il avait l'air content; il dit:
--?Ah! ah! vous dormez encore! Eh! bien, mon cher, nous avons du nouveau ce matin.?
Le maire s'��tait assis sur son lit.
--Quoi donc?
--Oh! quelque chose de singulier. Vous vous rappelez bien comme la m��re r��clamait, hier, un souvenir de sa fille, son petit bonnet surtout. Eh bien, en ouvrant sa porte, ce matin, elle a trouv��, sur le seuil, les deux petits sabots de l'enfant. Cela prouve que le crime a ��t�� commis par quelqu'un du pays, par quelqu'un qui a eu piti�� d'elle. Voil�� en outre le facteur M��d��ric qui m'apporte le d��, le couteau et l'��tui �� aiguilles de la morte. Donc l'homme, en emportant les v��tements pour les cacher, a laiss�� tomber les objets contenus dans la poche. Pour moi, j'attache surtout de l'importance au fait des sabots, qui indique une certaine culture morale et une facult�� d'attendrissement chez l'assassin. Nous allons donc, si vous le voulez bien, passer en revue ensemble les principaux habitants de votre pays.
Le maire s'��tait lev��. Il sonna afin qu'on lui apportat de l'eau chaude pour sa barbe. Il disait: ?Volontiers; mais ce sera assez long, et nous pouvons commencer tout de suite.?
M. Putoin s'��tait assis �� cheval sur une chaise, continuant ainsi, m��me dans les appartements, sa manie d'��quitation.
Renardet, �� pr��sent, se couvrait le menton de mousse blanche en se
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