veuve, ne dirait-on pas que c'est
Jeanne qui court là-bas? Je le croirais presque, si cette petite fille n'était
pas si bien habillée.
--Et vous n'auriez pas tort, répondit la mère Nannette après avoir
regardé un moment avec attention; c'est bien elle qui vient à nous
toujours courant. Elle est si belle qu'on la prendrait pour la fille de
maître Tixier, le fermier du Grand-Bail.»
Quand Jeanne fut à portée de se faire entendre, elle cria:
«Maman! mère Nannette!
--Oh! mon Dieu! ma fille! où as-tu donc pris ces beaux habits-là?
--Ce sont les dames Dumont qui les ont faits exprès pour moi, parce
que Mlle Isaure a eu du chagrin de me voir au lit le jour que vous avez
lavé ma robe; elles m'ont dit qu'il fallait mettre mes habits neufs le
dimanche pour aller à la messe, et quand vous nettoieriez les vieux.
--Et tu les mettras aussi le vendredi pour aller chez ces dames, ma
fille.»
Catherine laissa la petite Jeanne dans sa toilette jusqu'au soir, en lui
recommandant bien de ne pas se salir, et l'enfant s'occupa tout de suite
de donner à manger aux canards, qui venaient très-bien.
Jeanne s'avise de faire des bouquets pour les vendre.
La veille du marché, Jeanne, tout en gardant ses oisons, remarqua de
belles fleurs dans la haie du grand pré et au bord du ruisseau qui
traversait le bois. Elle eut l'idée d'en faire des bouquets; elle les
entremêla avec les épis de toutes sortes d'herbes des prés, et quand ils
furent faits, elle les posa pour la nuit sur une grosse touffe de gazon;
puis elle vint demander à la mère Nannette si elle voulait bien
l'emmener en ville avec elle pour vendre ses bouquets. La mère
Nannette dit que oui, et le lendemain Catherine mit à Jeanne ses beaux
habits. L'enfant trouva ses fleurs aussi fraîches que si elle venait de les
cueillir.
Aussitôt que la mère Nannette fut arrivée sur la place, tout le monde lui
demanda où elle avait pris cette jolie petite fille.
«C'est une pauvre enfant qui demande son pain, répondit-elle.
--Elle est bien belle, pour demander l'aumône!
--C'est que des dames charitables ont eu pitié d'elle et l'ont habillée
comme ça.»
En regardant la petite Jeanne, on regardait ses bouquets et on les lui
marchandait.
«Payez-les-moi ce que vous voudrez; c'est pour maman qui est
malade.»
On lui en donnait dix centimes; quelques dames qui étaient venues au
marché les lui payèrent quinze ou vingt, tant elles la trouvaient jolie et
modeste. Elle vendit tous ses bouquets, et rapporta un franc à sa mère.
Depuis elle ne manqua pas, quand il faisait beau, de faire des bouquets
pour aller les vendre. On ne les lui payait pas toujours aussi cher; mais
elle aimait mieux cela que d'aller aux portes.
La petite Jeanne apprend à tricoter.
Le vendredi suivant, Jeanne alla comme à l'ordinaire chercher les
cinquante centimes chez Mme Dumont. Sophie lui fit voir les bas
qu'elle lui tricotait et qui étaient presque finis.
«Moi, je ne suis pas aussi avancée, dit Isaure; je n'en suis encore qu'au
premier bas: c'est que je ne travaille pas aussi vite que ma soeur, parce
que je suis plus petite qu'elle.
--Que je voudrais donc bien en faire autant! dit Jeanne.
--Veux-tu que je t'apprenne à tricoter?
--Je le veux bien, mademoiselle.
--Eh bien, dit Mme Dumont, tu viendras tous les lundis, les mercredis
et les vendredis à deux heures.
--Oui, madame: ces jours-là je ne fais point de tournée, parce que
maman dit qu'il ne faut pas ennuyer les gens qui nous assistent. Elle ne
peut presque plus marcher, car ses jambes sont enflées, et je vais
demander toute seule.
--Et comment fais-tu pour avoir un peu de bois? car il faut du feu pour
faire de la soupe?
--La mère Nannette nous laisse mettre notre pot devant son feu; elle est
si bonne!»
Jeanne ne manqua pas de venir apprendre à tricoter, et Isaure lui
commença une jarretière; rien n'était plus charmant à voir que ces deux
petites têtes si près l'une de l'autre et ces petites mains entrelacées.
Jeanne était assise sur un tabouret; Isaure, à genoux derrière elle, tenait
une des mains de son écolière dans chacune des siennes, pour lui
apprendre à se servir de ses aiguilles; elle passait sa tête par-dessus
l'épaule de Jeanne, afin de voir comment elle s'y prenait.
Mme Dumont interroge la petite Jeanne.
«As-tu les mains propres? lui demanda Mme Dumont.
--Oui, madame, je me les suis frottées dans le son que la mère Nannette
a mis bouillir pour ses oisons. Maman se sert d'un petit bout de bois
bien pointu pour nettoyer mes ongles.
--Elle est donc bien propre, ta maman?
--Oui, madame; tous les matins elle peigne ses cheveux dans l'étable, et
les miens
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