La petite Jeanne | Page 2

Zulma Carraud
asseoir. Elle ralluma son feu, fit réchauffer un reste de
soupe qu'elle avait gardé pour son repas du soir et le donna aux deux
mendiantes. L'enfant mangea de si bon coeur, que la mère Nannette vit
bien que cette petite fille n'avait pas souvent si bonne chance. Ensuite
elle leur versa un verre de boisson à chacune, et dit à la pauvre femme:
«Mon Dieu! il faut qu'il vous soit arrivé un bien grand malheur, pour
qu'une femme, aussi jeune que vous, ait pu se décider à demander son
pain!
--Oh! oui, un bien grand malheur, ma chère femme. Il faut se trouver
dépourvue de toute ressource pour se résoudre à en venir là. J'ai bien
souffert de la faim avant de pouvoir me décider à tendre la main; je
crois que je me serais plutôt laissé mourir, si je n'avais la crainte de
Dieu et si je n'aimais tant cette pauvre innocente que voilà, et qui serait
morte aussi. Quand il m'en coûte trop pour aller demander, je la regarde
et je reprends courage. C'est bien triste, allez, ma chère femme, quand

on a du coeur, de vivre en ne faisant rien, aux dépens de ceux qui
travaillent! mais je ne peux pas faire autrement.
[Illustration: Catherine et Jeanne.]
--Pourquoi donc? dit la mère Nannette. Contez-moi ça.»
La pauvre femme dit à la mère Nannette:
«Je suis du village qui est auprès du Cher, à trois lieues d'ici. Il y a deux
mois, j'ai perdu mon mari à la suite d'une grosse maladie qui l'a retenu
au lit pendant bien longtemps. J'ai vendu tout ce que j'avais afin de
pouvoir le soigner. Quand il n'y a plus rien eu à la maison que le lit sur
lequel il était couché, il a bien fallu s'endetter. Après sa mort, on a
vendu la maison, le jardin, la chènevière, enfin tout, pour payer le
médecin et les autres, et je ne sais plus où me retirer. On ne veut pas me
louer, même une petite chambre, parce que je n'ai pas de mobilier pour
répondre du loyer. Je couche avec ma petite Jeanne dans les granges,
quand on veut bien m'y souffrir, ou bien sur les tas de chaume. C'est
bon à présent qu'il fait chaud; mais plus tard, comment faire avec cette
enfant, moi à qui les médecins ont défendu de sortir pendant tout
l'hiver?»
Et la pauvre malheureuse se mit à pleurer. Sa petite fille pleura aussi en
l'embrassant. Elle avait l'air si doux et si aimable, cette petite, que la
mère Nannette sentit fondre son coeur en pensant à la misère qu'elle
endurerait quand l'hiver serait venu. Aussitôt il lui vint dans l'idée de
faire une bonne action.
La mère Nannette donne asile à Catherine.
«Comment vous appelez-vous donc? demanda la mère Nannette.
--On m'appelle Catherine Leblanc.
--Eh bien! Catherine, j'ai là un vieux lit, une paillasse et une couverture;
si vous voulez rester ici, je vous logerai de bien bon coeur et je vous
soignerai de mon mieux, ainsi que votre petite; j'aime beaucoup les

enfants; j'en ai eu quatre, que le bon Dieu m'a retirés, et je suis bien
seule au monde.
--Grand merci! ma brave femme; vous me rendrez là un service qui
nous sauvera la vie à moi et à mon enfant. J'ai encore mon lit, avec un
coffre et une petite chaise. Maître Guillaume, le cousin de feu mon
pauvre homme, me les garde dans sa grange; il me les apportera bien
dimanche. Si vous me logez avec mon chétif mobilier, je vous donnerai
les sous que je ramasserai en allant aux portes.
--Je ne vous demande rien, Catherine; j'aime déjà votre petite Jeanne et
j'en aurai bien soin. Dieu veut que nous fassions aux autres ce que nous
voudrions que les autres fissent pour nous; et si j'étais dans votre
position, je serais bien heureuse de trouver quelqu'un qui voulût me
recevoir dans sa maison.»
Catherine était bien contente, et sa petite fille lui sauta au cou.
«Maman! il ne faut plus pleurer,» lui dit-elle.
Puis, se tournant du côté de la mère Nannette, elle dit en baissant la
tête:
«Je voudrais bien vous embrasser aussi.»
La mère Nannette la prit sur ses genoux et l'embrassa de bon coeur.
Catherine et Jeanne trouvent un bracelet.
Après que la mère et la fille se furent reposées, elles se remirent en
chemin pour aller chercher leur pain dans la campagne, en disant
qu'elles reviendraient le soir. Comme on était dans la saison des prunes
et des groseilles, la mère Nannette en alla cueillir au jardin et les mit
dans le bissac de Jeanne, pour qu'elle pût se rafraîchir quand elle aurait
trop chaud.
Comme elles traversaient la grande route pour revenir chez la mère
Nannette, après avoir achevé leur tournée, la petite Jeanne vit briller un

objet
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