La patrie française | Page 9

Francois Coppée
programme bien modeste sur lequel je vous demande de vous accorder.
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Les absurdités et les abominations d'un régime parlementaire faussé, telles que nous les ont décrites MM. de Marcère et Benoist, M. de Vogu? et M. Emile Faguet (pour ne citer que ceux-là); la question de savoir s'il est urgent ou opportun de réviser la Constitution, et dans quelles conditions cela se pourra faire utilement; les diverses réformes proposées: vote obligatoire pour tous les électeurs; élargissement du collège électoral qui nomme le Président de la République; diminution du nombre des députés; réduction de leur droit d'initiative en matière financière, etc..., je laisse aujourd'hui tout cela de c?té; et savez-vous pourquoi? La réforme des moeurs semble dépendre des institutions; mais, pour corriger celles-ci, il faut avoir déjà modifié celles-là dans quelque mesure. En somme, c'est la réforme des moeurs, des habitudes, de l'esprit public, qui importe le plus, et c'est par elle qu'il faut commencer.
Si la majorité des délégués du peuple étaient de très honnêtes gens, et, de plus, s'ils étaient sincèrement d'accord avec nous sur le programme ingénument national que j'indiquais tout à l'heure, le fameux ?jeu des institutions parlementaires? nous appara?trait bient?t moins effrontément faussé; ce qui, en même temps, limiterait la révision de la Constitution et la rendrait plus aisée et moins périlleuse. Autrement dit, les moeurs nouvelles des députés que nous enverrions à la Chambre influeraient déjà, d'une fa?on très heureuse, sur les institutions elles-mêmes.
Il n'y a à cela qu'une difficulté. Pour faire surgir du milieu de nous, en nombre suffisant, des représentants de volonté droite et persévérante, pour avoir cette puissance de renouveler ainsi la représentation nationale, il faut d'abord que nous devenions nous-mêmes des hommes nouveaux; il faut que nous le devenions tous (et nous sommes des millions); et c'est ce qui m'effraye, et je crains d'être ici en pleine chimère.
Mais non, ce n'est pas rêver que de croire que la France voudra enfin se ressaisir et se délivrer. Sans doute nos adversaires ont sur nous ce grand avantage, de s'adresser aux mauvais sentiments de ceux qu'ils enr?lent. Mais sommes-nous si faibles et si laches que nous ne puissions imiter du moins leur discipline, leur union, leur admirable activité et même, un peu, leur organisation? Sommes-nous incapables, quand notre intérêt le plus pressant nous y engage, de remplir entièrement notre devoir de citoyens? Car il ne s'agit pas d'autre chose. Le vrai secret des réformes publiques est, en dernière analyse, dans la réforme morale des individus. Je vous convie à un accroissement de dignité de vos personnes. Vous rassembler; former des comités; échanger vos impressions sur les affaires du pays; être assidus à ces réunions; chercher en toute cordialité des occasions de rencontre et d'entretien avec des hommes d'une autre condition sociale; donner à l'intérêt général un peu de votre temps et de votre argent de poche; vous discipliner vous-mêmes; obéir aux chefs que vous aurez librement choisis; sacrifier quelquefois votre sentiment, sur des points secondaires (car, dans cet essai d'entente et d'action commune, les vanités, les rivalités personnelles seront le grand écueil); tenter, en somme, et commencer sérieusement, contre une oligarchie malfaisante, l'oeuvre énorme de l'organisation de la démocratie; faire tout cela, et y persévérer, ce sera, pour vous, valoir mieux, et ce sera en même temps sauver le pays et, par conséquent, vous sauver vous-mêmes...
Oui, je sais, il s'agit de faire ce que la plupart des Fran?ais, indolents, routiniers, passifs, habitués à se décharger de tout sur l'Etat--et à tout supporter de lui--n'ont jamais fait encore. Mais les nations sont guérissables. En tout lieu, l'énergie, la ténacité d'un homme peut transformer ceux qui l'entourent. Il y a des paroles qui, d'abord, nous sont extérieures et qui, nous venant du dehors, agissent sur nous faiblement ou brièvement; mais ces paroles, à force de nous être répétées, font en nous leur brèche, nous deviennent peu à peu intérieures, finissent par faire partie intégrante de nos habituels mobiles d'action. Alors, nous sommes véritablement changés. On sent aujourd'hui, dans ce pays, une inquiétude morale qu'on n'y avait peut-être jamais vue depuis un siècle. Non, nous ne sommes pas en décadence, car la décadence s'ignore elle-même ou elle se résigne; et nous, nous connaissons notre mal et nous ne nous y résignons pas. Dans ces innombrables bonnes volontés, dont l'expression vient tous les jours jusqu'à nous,--volontés jusque-là isolées et qu'il faut réunir,--nous découvrons avec joie des signes évidents de résurrection et de renouvellement national.

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