La nuit de Noël dans tous les pays | Page 4

Alphonse Chabot
c'est bien la No?l. Dans cette veillée, dont l'usage se perpétue avec le même esprit familial depuis des centaines d'années, on s'unit plus étroitement aux morts vénérés et aimés. Bien des inimitiés prennent fin dans cette fête à laquelle on n'ose pas manquer et qui établit entre tous les parents une profonde et chrétienne intimité. Rester seul, chez soi, à l'écart, ce jour-là, serait regardé comme la marque d'un mauvais naturel et d'un coeur peu chrétien.
Dans le _Comtat-Venaissin_, l'ordonnance de la collation de No?l est de la plus grande simplicité. Du poisson ou des escargots, suivant les ressources des convives, du céleri, des confitures, des fruits de toutes sortes, verts ou secs. Au milieu de la table, un pain ou gateau de forme élevée et conique nommé pan calendau ou _pain de No?l_; il ne doit pas s'entamer avant le premier jour de janvier. Au-dessus de ce pain, un rameau de houx frelon ou vert _bouissé_, garni de ses fruits rouges et de ganses faites avec la moelle de jonc. Les chandelles ou bougies qui éclairent le repas doivent être neuves et leur usage, ainsi que celui de la b?che de No?l, doit se prolonger jusqu'au jour de l'an.
Nous ne saurions mieux faire que de laisser Frédéric Mistral lui-même nous raconter _la veillée de No?l en Provence_:
Fidèle aux anciens usages, pour mon père, la grande fête, c'était la veillée de No?l. Ce jour-là, les laboureurs dévalaient de bonne heure; ma mère leur donnait à chacun, dans une serviette, une belle galette à l'huile, une rouelle de nougat, une jointée de figues sèches, un fromage du troupeau, une salade de céleri et une bouteille de vin cuit. Et qui de-ci et qui de-là, les serviteurs s'en allaient, pour ?poser la b?che au feu?, dans leur pays et dans leur maison. Au Mas, ne demeuraient que les quelques pauvres hères qui n'avaient pas de famille; et, parfois, des parents, quelques vieux gar?ons, par exemple, arrivaient à la nuit, en disant:
--Bonnes fêtes! Nous venons poser, cousins, la b?che au feu, avec vous autres.
Tous ensemble, nous allions joyeusement chercher la ?b?che de No?l?, qui--c'était de tradition--devait être un arbre fruitier. Nous l'apportions dans le Mas, tous à la file, le plus agé la tenant d'un bout, moi, le dernier-né, de l'autre; trois fois, nous lui faisions faire le tour de la cuisine; puis, arrivés devant la dalle du foyer, mon père, solennellement, répandait sur la b?che un verre de vin cuit, en disant:
Allégresse! Allégresse, Mes beaux enfants, que Dieu nous comble d'allégresse! Avec No?l, tout bien vient, Dieu nous fasse la grace de voir l'année prochaine. Et, sinon plus nombreux, puissions-nous n'y pas être moins.
Et, nous criant tous: ?Allégresse, allégresse, allégresse!? on posait l'arbre sur les landiers et, dès que s'élan?ait le premier jet de flamme:
A la b?che, Boutefeu!
disait mon père en se signant. Et, tous, nous nous mettions, à table.
Oh! la sainte tablée, sainte réellement, avec, tout à l'entour, la famille complète, pacifique et heureuse. A la place du caleil, suspendu, à un roseau, qui, dans le courant de l'année, nous éclairait de son lumignon, ce jour-là, sur la table, trois chandelles brillaient; et si, parfois, la mèche tournait devers quelqu'un, c'était de mauvais augure. A chaque bout, dans une assiette, verdoyait du blé en herbe, qu'on avait mis germer dans l'eau, le jour de la Sainte-Barbe. Sur la triple nappe blanche, tour à tour apparaissaient les plais sacramentels: les escargots, qu'avec un long clou chacun tirait de la coquille; la morue frite et le _muge_[5] aux olives, le cardon, le scolyme, le céleri à la poivrade, suivis d'un tas de friandises réservées pour ce jour-là, comme: fouaces à l'huile, raisins secs, nougat d'amandes, pommes de paradis; puis, au-dessus de tout, le grand pain calendal, que l'on n'entamait jamais qu'après en avoir donné, religieusement, un quart au premier pauvre qui passait.
[Note 5: Muge, poisson de mer appelé aussi mulet.]
La veillée, en attendant la messe de minuit, était longue, ce jour-là; et, longuement, autour du feu, on y parlait des anciens ancêtres et on louait leurs actions[6].
[Note 6: Frédéric Mistral.]
A _Marseille,_ pour le repas maigre de la veillée de No?l, il faut invariablement un plat d'anguille, une _ra?to,_ sorte de sauce au poisson, et des légumes. Le dessert se compose de fruits secs, de gateaux, de confitures, en un mot de tout ce qu'on nomme, à Marseille, les _Calenos._ Autrefois, suivant la coutume des anciens seigneurs proven?aux, la table demeurait couverte de mets pendant les trois jours de fête; on se contentait de relever la nappe quand la repas était terminé.
Pour compléter ce que nous avons déjà dit de la veillée de No?l en Provence, nous citerons la description que nous fait de gros souper Jeanne de Flandreysy dans le Museon Arlaten.
Le musée d'Arles, fondé en 1896 par Frédéric Mistral, est une véritable reconstitution
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