devant la Crèche qu'après le gros souper, se continue la fête de
famille. On chante avec entrain les vieux noëls provençaux souvent
plusieurs fois séculaires: ceux de Saboly et ceux de Doumergue sont les
plus populaires. La soirée de famille se prolonge ainsi toute la veillée.
Alors tout le monde se rend à l'église pour assister à la Messe de
minuit[4].
[Note 4: D'après Fred. Charpin et François Mazuy.]
Pour les Provençaux, la fête la plus traditionnelle, la plus régionale,
c'est bien la Noël. Dans cette veillée, dont l'usage se perpétue avec le
même esprit familial depuis des centaines d'années, on s'unit plus
étroitement aux morts vénérés et aimés. Bien des inimitiés prennent fin
dans cette fête à laquelle on n'ose pas manquer et qui établit entre tous
les parents une profonde et chrétienne intimité. Rester seul, chez soi, à
l'écart, ce jour-là, serait regardé comme la marque d'un mauvais naturel
et d'un coeur peu chrétien.
Dans le _Comtat-Venaissin_, l'ordonnance de la collation de Noël est
de la plus grande simplicité. Du poisson ou des escargots, suivant les
ressources des convives, du céleri, des confitures, des fruits de toutes
sortes, verts ou secs. Au milieu de la table, un pain ou gâteau de forme
élevée et conique nommé pan calendau ou _pain de Noël_; il ne doit
pas s'entamer avant le premier jour de janvier. Au-dessus de ce pain, un
rameau de houx frelon ou vert _bouissé_, garni de ses fruits rouges et
de ganses faites avec la moelle de jonc. Les chandelles ou bougies qui
éclairent le repas doivent être neuves et leur usage, ainsi que celui de la
bûche de Noël, doit se prolonger jusqu'au jour de l'an.
Nous ne saurions mieux faire que de laisser Frédéric Mistral lui-même
nous raconter _la veillée de Noël en Provence_:
Fidèle aux anciens usages, pour mon père, la grande fête, c'était la
veillée de Noël. Ce jour-là, les laboureurs dévalaient de bonne heure;
ma mère leur donnait à chacun, dans une serviette, une belle galette à
l'huile, une rouelle de nougat, une jointée de figues sèches, un fromage
du troupeau, une salade de céleri et une bouteille de vin cuit. Et qui
de-ci et qui de-là, les serviteurs s'en allaient, pour «poser la bûche au
feu», dans leur pays et dans leur maison. Au Mas, ne demeuraient que
les quelques pauvres hères qui n'avaient pas de famille; et, parfois, des
parents, quelques vieux garçons, par exemple, arrivaient à la nuit, en
disant:
--Bonnes fêtes! Nous venons poser, cousins, la bûche au feu, avec vous
autres.
Tous ensemble, nous allions joyeusement chercher la «bûche de Noël»,
qui--c'était de tradition--devait être un arbre fruitier. Nous l'apportions
dans le Mas, tous à la file, le plus âgé la tenant d'un bout, moi, le
dernier-né, de l'autre; trois fois, nous lui faisions faire le tour de la
cuisine; puis, arrivés devant la dalle du foyer, mon père, solennellement,
répandait sur la bûche un verre de vin cuit, en disant:
Allégresse! Allégresse, Mes beaux enfants, que Dieu nous comble
d'allégresse! Avec Noël, tout bien vient, Dieu nous fasse la grâce de
voir l'année prochaine. Et, sinon plus nombreux, puissions-nous n'y pas
être moins.
Et, nous criant tous: «Allégresse, allégresse, allégresse!» on posait
l'arbre sur les landiers et, dès que s'élançait le premier jet de flamme:
A la bûche, Boutefeu!
disait mon père en se signant. Et, tous, nous nous mettions, à table.
Oh! la sainte tablée, sainte réellement, avec, tout à l'entour, la famille
complète, pacifique et heureuse. A la place du caleil, suspendu, à un
roseau, qui, dans le courant de l'année, nous éclairait de son lumignon,
ce jour-là, sur la table, trois chandelles brillaient; et si, parfois, la
mèche tournait devers quelqu'un, c'était de mauvais augure. A chaque
bout, dans une assiette, verdoyait du blé en herbe, qu'on avait mis
germer dans l'eau, le jour de la Sainte-Barbe. Sur la triple nappe
blanche, tour à tour apparaissaient les plais sacramentels: les escargots,
qu'avec un long clou chacun tirait de la coquille; la morue frite et le
_muge_[5] aux olives, le cardon, le scolyme, le céleri à la poivrade,
suivis d'un tas de friandises réservées pour ce jour-là, comme: fouaces à
l'huile, raisins secs, nougat d'amandes, pommes de paradis; puis,
au-dessus de tout, le grand pain calendal, que l'on n'entamait jamais
qu'après en avoir donné, religieusement, un quart au premier pauvre qui
passait.
[Note 5: Muge, poisson de mer appelé aussi mulet.]
La veillée, en attendant la messe de minuit, était longue, ce jour-là; et,
longuement, autour du feu, on y parlait des anciens ancêtres et on louait
leurs actions[6].
[Note 6: Frédéric Mistral.]
A _Marseille,_ pour le repas maigre de la veillée de Noël, il faut
invariablement un plat d'anguille, une _raïto,_ sorte de sauce au poisson,
et des légumes. Le dessert se compose de fruits secs,
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