La nouvelle Carthage | Page 3

Georges Eekhoud
gaucherie. �� deux ou trois phrases peu ��l��gantes qui sentaient leur patois, elle le corrigea. Laurent, peu causeur, devint encore plus taciturne. Sa timidit�� croissait; il s'en voulait d'��tre ridicule devant elle.
Ce jour-l��, Gina portait son uniforme de pensionnaire: une robe grise garnie de soie bleue. Elle raconta �� son compagnon, qui ne se lassait pas de l'entendre, les particularit��s de son pensionnat de religieuses �� Malines; elle le r��gala m��me de quelques caricatures de sa fa?on; contrefit, par des grimaces et des contorsions, certaines des bonnes soeurs. La r��v��rende m��re louchait; soeur V��ronique, la ling��re, parlait du nez; soeur Hubertine s'endormait et ronflait �� l'��tude du soir.
Le chapitre des infirmit��s et des d��fauts de ses ma?tresses la mettant en verve, elle prit plaisir �� embarrasser son interlocuteur: ?Est-il vrai que ton p��re ��tait un simple commis? ... Il n'y avait qu'une petite porte et qu'un ��tage �� votre maison? ... Pourquoi donc que vous n'��tes jamais venus nous voir? ... Ainsi nous sommes cousins... C'est dr?le, tu ne trouves pas... Paridael, c'est du flamand cela? ... Tu connais Athanase et Gaston, les fils de M. Saint-Fardier, l'associ�� de papa? En voil�� des gaillards! Ils montent �� cheval et ne portent plus de casquettes... Ce n'est pas comme toi ... Papa m'avait dit que tu ressemblais �� un petit paysan, avec tes joues, rouges, tes grandes dents et tes cheveux plats ... Qui donc t'a coiff�� ainsi? Oui, papa a raison, tu ressembles bien �� un de ces petits paysans qui servent la messe, ici!?
Elle s'acharnait sur Laurent avec une malice implacable. Chaque mot lui allait au coeur. Plus rouge que jamais, il s'effor?ait de rire, comme au portrait des bonnes soeurs, et ne trouvait rien �� lui r��pondre.
Il aurait tant voulu prouver �� cette railleuse qu'on peut porter une blouse taill��e comme un sac, une culotte �� la fois trop longue et trop large, faite pour durer deux ans et godant, aux genoux, au point de vous donner la d��marche d'un cagneux; une collerette empes��e d'o�� la t��te pouparde et penaude du sujet ��merge comme celle d'un saint Jean-Baptiste apr��s la d��collation; une casquette de premier communiant dont le cr��pe de deuil dissimulait mal les passementeries extravagantes, les macarons de jais et de velours, les boucles inutiles, les glands encombrants; qu'on peut dire v��tu comme un fils de fermier et ne pas ��tre plus niais et plus bouch�� qu'un Gaston ou qu'un Athanase Saint-Fardier.
La bonne Siska n'��tait pas un tailleur mod��le, tant s'en faut, mais du moins ne m��nageait-elle pas l'��toffe! Puis, Jacques Paridael trouvait si bien ainsi son petit Laurent! Le jour de la premi��re communion, le cher homme lui avait encore dit en l'embrassant: ?Tu es beau comme un prince, mon Lorki!? Et c'��tait le m��me costume de f��te qu'il v��tait �� pr��sent, �� part le cr��pe garnissant sa casquette composite et rempla?ant �� son bras droit le glorieux ruban de moire blanche frang�� d'argent...
La taquine eut un bon mouvement. En parcourant les parterres, elle cueillit une reine-marguerite aux p��tales ponceau, au coeur dor��: ?Tiens, paysan, fit-elle, passe cette fleur �� ta boutonni��re!? Paysan, tant qu'elle voudrait! Il lui pardonnait. Cette fleur piqu��e dans sa blouse noire ��tait le premier sourire illuminant son deuil. Plus impuissant encore �� exprimer, par des mots, sa joie que son amertume, s'il l'avait os��, il e?t fl��chi le genou devant la petite Dobouziez et lui aurait bais�� la main comme il avait vu faire �� des chevaliers empanach��s, dans un volume du Journal pour Tous qu'on feuilletait autrefois, chez lui, les dimanches d'hiver, en croquant des marrons grill��s...
R��gina gambadait d��j�� �� l'autre bout du jardin, sans attendre les remerciements de Laurent.
Il eut un remords de s'��tre laiss�� apprivoiser si vite et, farouche, arracha la fleur r��jouie. Mais au lieu de la jeter, il la serra d��votement dans sa poche. Et, demeur��e l'��cart, il songea �� la maison paternelle. Elle ��tait vide et mise en location. Le chien, le brave Lion avait ��t�� abandonn�� au voisin de bonne volont�� qui consentit �� en d��barrasser la mortuaire! Siska, ses gages pay��s, s'en ��tait all��e �� son tour. Que faisait-elle �� pr��sent? La reverrait-il encore? Lorki ne lui avait pas dit adieu ce matin. Il revoyait sa figure �� l'��glise, tout au fond, sous le jub��, sa bonne figure aussi gonfl��e, aussi d��faite que la sienne.
On sortait; il avait d? passer, talonn�� par le cousin Guillaume, alors qu'il aurait tant voulu sauter au cou de l'excellente cr��ature. Dans la voiture, il avait timidement hasard�� cette demande: ?O�� allons-nous, cousin? -- Mais �� la fabriqu��, pardienne! O�� veux-tu que nous allions?? On n'irait donc plus �� la maison! Il n'insista point, le petit; il ne demanda m��me pas �� prendre cong�� de sa bonne! Devenait-il dur et fier, d��j��? Oh, que non! Il n'��tait que
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