alors qu'il l'outrage. Il m'irrite, il me plaît. Son coeur indépendant Sur
mes sens étonnés prend un fier ascendant. Sa fermeté m'impose, & je
l'excuse même, De condamner en moi l'autorité suprême. Soit qu'étant
homme & père, un charme séducteur, L'excusant à mes yeux, me
trompe en sa faveur; Soit qu'étant né Romain, la voix de ma patrie Me
parle malgré moi contre ma tyrannie; Et que la liberté que je viens
d'opprimer, Plus forte encor que moi, me condamne à l'aimer. Te dirai-j
encor plus? Si Brutus me doit l'être, S'il est fils de Cesar, il doit haïr un
Maître. J'ai pensé comme lui, dès mes plus jeunes ans; J'ai détesté Sylla,
j'ai haï les Tyrans. J'eusse été Citoyen, si l'orgueilleux Pompée N'eut
voulu m'opprimer sous sa gloire usurpée. Né fier, ambitieux, mais né
pour les vertus, Si je n'étais Cesar, j'aurais été Brutus. Tout homme à
son état doit plier son courage. Brutus tiendra bientôt un différent
langage, Quand il aura connu de quel sang il est né. Croi-moi, le
Diadème à son front destiné, Adoucira dans lui sa rudesse importune; Il
changera de moeurs, en changeant de fortune. La nature, le sang, mes
bienfaits, tes avis, Le devoir, l'intérêt, tout me rendra mon fils.
ANTOINE.
J'en doute. Je connais sa fermeté farouche: La secte dont il est n'admet
rien qui la touche. Cette secte intraitable, & qui fait vanité, D'endurcir
les esprits contre l'humanité, Qui dompte & foule aux pieds la Nature
irritée, Parle seule à Brutus, & seule est écoutée. Ces préjugés affreux,
qu'ils appellent devoir, Ont sur ces coeurs de bronze un absolu pouvoir.
Caton même, Caton, ce malheureux Stoïque, Ce Héros forcené, la
victime d'Utique, Qui fuyant un pardon qui l'eût humilié, Préféra la
mort même à ta tendre amitié; Caton fut moins altier, moins dur, &
moins à craindre, Que l'ingrat qu'à t'aimer ta bonté veut contraindre.
CESAR
Cher ami, de quels coups tu viens de me frapper! Que m'as-tu dit?
ANTOINE.
Je t'aime, & ne te puis tromper.
CESAR.
Le tems amollit tout.
ANTOINE.
Mon coeur en désespère.
CESAR.
Quoi, sa haine!...
ANTOINE.
Croi-moi.
CESAR.
N'importe; je suis père. J'ai chéri, j'ai sauvé mes plus grands ennemis:
Je veux me faire aimer de Rome & de mon fils; Et conquérant des
coeurs vaincus par ma clémence, Voir la Terre & Brutus adorer ma
puissance. C'eft à toi de m'aider dans de si grands desseins: Tu m'a
prêté ton bras, pour dompter les humains; Dompte aujourdhui Brutus,
adouci son courage! Prépare par degrés cette vertu sauvage Au secret
important qu'il lui faut révéler, Et dont mon coeur encor hésite à lui
parler.
ANTOINE.
Je ferai tout pour toi; mais j'ai peu d'espérance.
SCENE II.
CESAR, ANTOINE, DOLABELLA.
DOLABELLA.
Cesar, les Sénateurs attendent audience; A ton ordre suprême il se
rendent ici.
CESAR.
Ils ont tardé long-tems,... Qu'ils entrent.
ANTOINE.
Les voici. Que je lis sur leur front de dépit & de haine!
SCENE III.
CESAR, ANTOINE, BRUTUS, CASSIUS, CIMBER, DECIMUS,
CINNA, CASCA, &c. Licteurs.
CESAR assis.
Venez, dignes soutiens de la grandeur Romaine, Compagnons de Cesar.
Approchez, Cassius Cimber, Cinna, Décime, & toi mon cher Brutus.
Enfin voici le tems, si le Ciel me seconde, Où je vais achever la
conquête du Monde, Et voir dans l'Orient le Trône de Cyrus Satisfaire,
en tombant, aux mânes de Crassus. Il est tems d'ajoûter, par le droit de
la guerre, Ce qui manque aux Romains des trois parts de la Terre. Tout
est prêt, tout prévû pour ce vaste dessein: L'Euphrate attend Cesar, & je
pars dès demain. Brutus & Cassius me suivront en Asie: Antoine
retiendra la Gaule & l'Italie. De la Mer Atlantique, & des bords du
Bétis, Cimber gouvernera les Rois assujettis. Je donne à Décimus la
Grèce & la Lycie, A Marcellus le Pont, à Casca la Syrie. Ayant ainsi
réglé le sort des Nations, Et laissant Rome heureuse & sans divisions, Il
ne reste au Sénat, qu'à juger sous quel titre De Rome & des humains je
dois être l'arbitre. Sylla fut honoré du nom de Dictateur, Marius fut
Consul, & Pompée Empereur. J'ai vaincu le dernier; & c'est assez vous
dire, Qu'il faut un nouveau nom pour un nouvel Empire; Un nom plus
grand, plus saint, moins sujet aux revers, Autrefois craint dans Rome,
& cher à l'Univers. Un bruit trop confirmé se répand sur la Terre, Qu'en
vain Rome aux Persans ose faire la guerre; Qu'un Roi seul peut les
vaincre & leur donner la loi: Cesar va l'entreprendre, & Cesar n'est pas
Roi. Il n'est qu'un Citoyen fameux pour ses services, Qui peut du
peuple encor essuyer les caprices... Romains, vous m'entendez, vous
savez mon espoir, Songez à mes bienfaits, songez à mon pouvoir.
CIMBER.
Cesar, il faut parler. Ces Sceptres, ces Couronnes, Ce fruit de nos
travaux, l'Univers
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