La mort de César | Page 3

Voltaire
Content d'être sous toi le
second des humains, Plus fier de t'attacher ce nouveau Diadème, Plus
grand de te servir que de régner moi-même. Quoi! tu ne me répons que
par de longs soupirs! Ta grandeur fait ma joie, & fait tes déplaisirs! Roi
de Rome & du Monde, est-ce à toi de te plaindre? Cesar peut-il gémir,
ou Cesar peut-il craindre? Qui peut à ta grande âme inspirer la terreur?
CESAR.
L'amitié, cher Antoine; il faut t'ouvrir mon coeur. Tu sais que je te
quitte, & le destin m'ordonne De porter nos drapeaux aux champs de
Babylone. Je pars, & vai venger sur le Parthe inhumain La honte de
Crassus & du peuple Romain. L'aigle des légions, que je retiens encore,
Demande à s'envoler vers les mers du Bosphore; Et mes braves soldats
n'attendent pour signal, Que de revoir mon front ceint du bandeau royal.
Peut-être avec raison Cesar peut entreprendre D'attaquer un pays qu'a
soumis Alexandre. Peut-être les Gaulois, Pompée & les Romains,
Valent bien les Persans subjugués par ses mains. J'ose au moins le
penser; & ton ami se flate Que le vainqueur du Rhin peut l'être de
l'Euphrate. Mais cet espoir m'anime, & ne m'aveugle pas. Le sort peut
se lasser de marcher sur mes pas: La plus haute sagesse en est souvent
trompée; Il peut quitter Cesar, ayant trahi Pompée; Et dans les factions,
comme dans les combats, Du triomphe à la chute il n'est souvent qu'un
pas. J'ai servi, commandé, vaincu, quarante années; Du Monde entre
mes mains j'ai vu les destinées; Et j'ai toujours connu qu'en chaque
évenement le destin des Etats dépendait d'un moment. Quoi qu'il puisse

arriver, mon coeur n'a rien à craindre; Je vaincrai sans orgueuil, ou
mourrai sans me plaindre. Mais j'exige en partant, de ta tendre amitié,
Qu'Antoine à mes enfans soit pour jamais lié; Que Rome par mes mains
défenduë & conquise, que la Terre à mes fils, comme à toi, soit
soumise; Et qu'emportant d'ici le grand titre de Roi, Mon sang & mon
ami le prennent après moi. Je te laisse aujourdhui ma volonté dernière.
Antoine, à mes enfans il faut servir de père. Je ne veux point de toi
demander des sermens, De la foi des humains sacrés & vains garans; Ta
promesse suffit, & je la crois plus pure Que les autels des Dieux
entourés du parjure.
ANTOINE.
C'est déjà pour Antoine une assez dure loi, Que tu cherches la guerre &
le trépas sans moi, Et que ton intérêt m'attache à l'Italie, Quand la gloire
t'appelle aux bornes de l'Asie. Je m'afflige encor plus de voir que ton
grand coeur Doute de sa fortune, & présage un malheur: Mais je ne
comprens point ta bonté qui m'outrage, Cesar, que me dis-tu, de tes fils,
de partage? Tu n'as de fils qu'Octave, & nulle adoption N'a d'un autre
Cesar appuyé ta maison.
CESAR.
Il n'est plus tems, ami, de cacher l'amertume, Dont mon coeur paternel
en secret se consume. Octave n'est mon sang qu'à la faveur des lois: Je
l'ai nommé Cesar, il est fils de mon choix, Le destin, (dois je dire, ou
propice, ou sévère?) D'un véritable fils en effet m'a fait père, D'un fils
que je chéris, mais qui pour mon malheur, A ma tendre amitié répond
avec horreur.
ANTOINE.
Et quel est cet enfant: Quel ingrat peut-il être, Si peu digne du sang
dont les Dieux l'ont fait naître?
CESAR.
Ecoute: Tu connais ce malheureux Brutus, Dont Caton cultiva les

farouches vertus, De nos antiques lois ce défenseur austère, Ce rigide
ennemi du pouvoir arbitraire, Qui toujours contre moi, les armes à la
main, De tous mes ennemis a suivi le destin; Qui fut mon prisonnier
aux champs de Thessalie; A qui j'ai malgré lui sauvé deux fois la vie,
Né, nourri loin de moi chez mes fiers ennemis.
ANTOINE.
Brutus! il se pourrait...
CESAR
Ne m'en crois pas. Tien, lis.
ANTOINE.
Dieux! la soeur de Caton, la fière Servilie!
CESAR.
Par un hymen secret elle me fut unie. Ce farouche Caton, dans nos
premiers débats, La fit presqu'à mes yeux passer en d'autres bras: Mais
le jour qui forma ce second hyménée, De son nouvel époux trancha la
destinée. Sous le nom de Brutus mon fils fut élevé. Pour me haïr, ô Ciel!
était-il reservé? Mais lis: tu sauras tout par cet écrit funeste.
ANTOINE. Il lit
_Cesar, je vais mourir. La colère céleste Va finir à la fois ma vie &
mon amour. Souvien-toi qu'à Brutus Cesar donna le jour. Adieu. Puisse
ce fils éprouver pour son père L'amitié qu'en mourant te conservait sa
mère! (Servilie) Quoi! faut il que du sort la tyrannique loi, Cesar, te
donne un fils si peu semblable à toi?
CESAR.
Il a d'autres vertus; son superbe courage Flate en secret le mien, même
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