La mort de Brute et de Porcie | Page 6

Guyon Guérin de Bouscal
jour victorieux & triomphans des Rois,?Rome nous nommera protecteurs de ses lois,?Alors tous nos malheurs auront trouvé leur terme,?Alors nostre repos n'aura rien que de ferme,?Alors ne craignant plus pour nostre commun bien,?Jamais mon sentiment ne choquera le tien,?Alors les Dieux benins, pour nous combler de joye,?Ne feront à nos jours qu'une trame de soye,?Et quand leur providence en coupera le cours,?Nos noms & nos vertus demeureront tousjours.?Cependant, mon cher coeur, permets que je m'en aille?Disposer mes soldats à donner la bataille,?L'heure me presse, adieu.
PORCIE.
Va donc, mon cher soucy,?Certain que si tu meurs je veux mourir aussi.
SCENE VI.
PORCIE, sa Compagne.
PORCIE.
Donques les bras croisez en ce malheur extresme?Je me voy sans rougir differente à moy mesme??Doncques ma lascheté m'oste le souvenir?Que Brute ce heros vient de m'entretenir!?Arrestez-vous mes pleurs, son adorable image?Vient defendre à mes yeux de vous donner passage,?Et vous, tristes soupirs, tesmoins de mon soucy,?Cedez à la vertu qui vous bannit d'icy,?Mais non, n'escoutez pas ma requeste importune,?La vertu se plaindroit en pareille fortune.?Je voy tout ce que j'ayme en danger aujourd'huy,?Brute & la liberté qui ne vit plus qu'en luy;?Toutesfois banissons ce mouvement de femme,?Ma naissance suffit pour instruire mon ame,?En vain irois-je ailleurs rechercher un patron,?C'est assez que je suis la fille de Caton,?Sus donc faisons paroistre à nos trouppes fidelles?Que je brusle d'ardeur de combattre pour elles,?Et qu'avec son portraict mon pere a mis en moy?Un desir violent de n'avoir point de Roy;?Monstrons que dans le choc des plus rudes alarmes?Je s?ay verser du sang aussi bien que des larmes,?Allons braver la mort au camp des ennemis,?Et vengeons aujourd'huy les maux qu'ils ont commis:?Il ne m'importe point d'obtenir la victoire,?Mon sort est assez beau, je n'ay que trop de gloire?Pourveu que combattant pour le peuple Romain?Je meure comme Brute une espée à la main:?Toy ne traverse point ce conseil salutaire,?Aussi seroit-ce en vain qu'on m'en voudroit distraire,?Il est grand, il est juste, & selon la saison.
LA COMPAGNE.
Mais vous ne dites pas qu'il choque la raison,?Madame, moderez cette boüillante rage,?Pour mieux voir le danger où vostre esprit s'engage:?Quoy! sommes-nous tombez en de si foibles mains,?Que vous n'esperiez rien du salut des Romains??Brute auroit-il perdu son courage hero?que??Et ne pourroit-il rien pour nostre Republique??Non, il est toujours Brute, & comme ses parens,?Il ne s'arme jamais sans chasser des Tyrans;?J'espere quand à moy qu'il aura la victoire,?Mais vostre grand dessein que sert-il à sa gloire??Et si l'executant vous rencontriez la mort,?N'auroit-il pas sujet de blasmer vostre effort?
PORCIE.
On peut bien sans mourir suivre cette entreprise.
LA COMPAGNE.
Mais si Brute mouroit, et que vous fussiez prise,?Que tout fut en butin aux Tyrans inhumains,?Quel regret auriez-vous de vous voir en leur mains??Et sans pouvoir mourir vous s?avoir condamnée,?D'estre dans vostre ville en triomphe menée??Le penser seulement me fait trembler d'horreur,?Pour gauchir cét escueil, calmez vostre fureur,?Madame & si le Ciel vous donne du courage,?Tesmoignez-en la force à brider vostre rage:?Endurez sans vous plaindre, & que jamais vos pleurs,?Ny vostre desespoir m'expriment vos douleurs:?C'est la lice d'honneur où la vertu s'espreuve,?Et le port plus certain où le repos se treuve:?Outre que si le Ciel vous mal-traitte aujourd'huy,?Vous aurez plus de droict de vous plaindre de luy.
PORCIE.
En fin à tes raisons ma fureur diminu?,?Comme aux rais du Soleil l'espesseur d'une nu?,?Je me laisse emporter à tout ce que tu veux,?Allons à Jupiter faire offre de nos voeux:?Et si nous le trouvons encor inexorable?A soulager les maux d'un peuple miserable?Je s?ay depuis long-temps quel sera mon devoir,?Mais qu'un courroux sied mal lors qu'il est sans pouvoir!
ACTE SECOND.
SCENE PREMIERE.
MARC ANTHOINE, LUCILLE, & deux de ses Chefs.
MARC ANTHOINE.
Puis que c'est aujourd'huy qu'un destin favorable,?Nous promet de venger ce crime detestable,?La mort du grand C?sar, le Phoenix des guerriers,?Prodiguons nostre sang pour gagner des lauriers,?Monstrons à ce Heros dans sa beatitude,?Que nous voulons mourir exempts d'ingratitude,?Et que jamais la paix n'esteindra nos combats,?Que plustost on n'ait mis tous ces meurtriers abas.?Quand Rome verseroit un Ocean de larmes,?Qu'un deüil perpetuel terniroit tous ces charmes,?Et que ses Citoyens n'y s?auroient plus rien voir,?Que de tristes objets couverts d'un crespe noir,?Ce seroit laschement honorer la memoire?De ce grand demy Dieu qui la combloit de gloire,?Qui maintenoit la paix dans un si vaste corps,?Et parmy les plus grands des merveilleux accords.?En vain nos conjurez vantans la Republique,?Taxent la Royauté d'un pouvoir tyrannique.?Il est vray qu'un Estat qui se veut agrandir?Contre la Royauté, se doit toujours roidir:?Mais lors qu'il ne peut plus estendre son Empire,?Il faut qu'à ce bon-heur tout son effort aspire,?Comme le seul qui peut maintenir son pouvoir,?Et contenir les grands aux termes du devoir.?Que si l'ambition dans son impatiance?Par un ingrat effort foule cette puissance,?Dés l'heure il est perdu, son bras devient perclus,?Et cessant d'obe?r, il ne commande plus.?Nostre Rome à ce point avoit besoin d'un Maistre?Et les evenemens nous le font bien connoistre,?Les peuples rebellez depuis cét attentat?Démembrent tous les
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