abreuve
fraternellement les fleurs et les fruits de l'Europe. L'air qui nous
renouvelle, c'est le tribut que cent îles d'Asie, que la puissante flore de
Java ou de Ceylan exhala, confia au grand messager des nuages qui
roule avec la terre et lui verse la vie.
* * *
Posez-vous (j'entends en esprit) sur une des îles volcaniques que la mer
Pacifique offre en si grand nombre et regardez au sud. Derrière la
Nouvelle-Hollande, vous verrez l'océan Austral assiéger d'un flot
circulaire les deux pointes extrêmes de l'ancien et du nouveau continent.
Point de terre au monde Antarctique, ou de petites îles, ou de
prétendues terres polaires que les découvreurs ne marquent que pour les
voir disparaître, et qui peut-être ne sont que des glaces. Des eaux sans
fin, toujours des eaux.
Du même observatoire où je vous place, en contraste avec le cercle des
eaux Antarctiques, vous pouvez voir vers l'est, vers l'hémisphère
Arctique, ce que Ritter nomme le cercle de feu. Pour parler plus
exactement, c'est un anneau détendu, une chaîne lâche que forment les
volcans, d'abord aux Cordillères, puis sur les hauteurs de l'Asie; enfin
dans ces groupes innombrables d'îles basaltiques dont fourmille l'océan
Oriental. Les premiers volcans, ceux de l'Amérique, offrent sur mille
lieues de long une succession de soixante phares gigantesques dont les
éruptions constantes dominent la côte abrupte et les eaux lointaines.
Les autres, de la Nouvelle-Zélande jusqu'au nord des Philippines, en
ont quatre-vingts qui brûlent, d'innombrables qui sont éteints. Si l'on
pousse vers le nord (du Japon au Kamtchatka), cinquante cratères qui
flamboient, illuminent de leurs lueurs jusqu'aux îles Aléoutiennes, et
les sombres mers arctiques (Léopold de Buch, Ritter, Humboldt). Au
total, trois cents volcans actifs dominent circulairement le monde
oriental.
Sur l'autre face du globe, notre océan Atlantique offrait un aspect
analogue avant les révolutions qui éteignirent la plupart des volcans
d'Europe, et d'autre part anéantirent le continent de l'Atlantide.
Humboldt croit que cette grande ruine, si fortement attestée par la
tradition, n'a été que trop réelle. J'ose ajouter que l'existence de ce
continent fut logique dans la symétrie générale du monde, pour que
cette face du globe fût harmonique à l'autre. Là s'élevaient avec le
volcan de Ténériffe qui en est resté, avec nos volcans éteints
d'Auvergne, du Rhin, d'Hereford, etc., ceux qui durent miner l'Atlantide.
Tous ensemble ils constituaient le vis-à-vis des volcans des Antilles et
autres cratères américains.
* * *
De ces volcans enflammés ou éteints, de l'Inde et des Antilles, de la
mer de Cuba, de la mer de Java, partent deux énormes fleuves d'eau
chaude, qui s'en vont réchauffer le nord, et qu'on pourrait appeler les
deux aortes du globe. Ils sont munis, ou de côté ou en dessous, de leurs
contre-courants qui, venant du nord, amènent l'eau froide, compensent
l'effusion d'eau chaude et font l'équilibre. Aux deux courants chauds,
très-salés, les courants froids administrent une masse d'eau plus douce,
qui retourne à l'équateur, au grand foyer électrique qui doit la chauffer,
la saler.
Ces fleuves d'eau chaude, d'abord étroits, de quelque vingt lieues de
large, gardant longtemps leur vigueur et leur puissante identité, peu à
peu cependant se coupent, s'attiédissent, mais s'étendent et prennent
une largeur de mille lieues. Maury estime que celui qui part des
Antilles et qui pousse au nord vers nous déplace et modifie le quart des
eaux de l'Atlantique.
Ces grands traits de la vie des mers, observés récemment, étaient
pourtant visibles autant que les continents mêmes. Notre grosse artère
Atlantique, sa soeur, l'artère Indienne, s'annoncent assez par leur
couleur. Des deux côtés également, c'est un grand torrent bleu qui court
sur les eaux vertes, très-bleu, d'un indigo si sombre, que les Japonais
appellent le leur: le fleuve noir.
On voit très-bien sourdre le nôtre, entre Cuba et la Floride; il sort
brûlant de sa chaudière, le golfe du Mexique. Il court, chaud, salé,
très-distinct entre ses deux murs verts. L'Océan a beau faire; il le serre,
il le comprime, mais il ne peut le pénétrer. Je ne sais quelle densité
intrinsèque, quelle attraction moléculaire tient ces eaux bleues liées
ensemble, si bien que, plutôt que d'admettre l'eau verte, elles
s'accumulent, forment un dos, une voûte, qui a sa pente à droite et à
gauche; tout objet qu'on y jette en dérive et en glisse, étant plus haut
que l'Océan.
Rapide et fort, il court d'abord au nord, en suivant les États-Unis; mais
quand il arrive à la pointe du grand banc de Terre-Neuve, son bras droit
pousse à l'Est, son bras gauche se subordonne, comme courant
sous-marin, s'en va consoler le pôle, y créer la mer tiède (je veux dire
non glacée) qu'on vient de découvrir. Quant au bras droit, épandu dans
une largeur immense, lorsque affaibli, fatigué, il arrive enfin en Europe,
il trouve l'Irlande et l'Angleterre qui divisent encore ses
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