La mer et les marins | Page 9

Édouard Corbière
flots, et que les flots caressent le batiment qui porte les rois de la mer, devrait-il y avoir dans la nature quelque chose de plus redoutable que les ��l��ments dont le g��nie de l'homme a su triompher avec tant d'habilet��!
Tout-��-coup cependant le calme qui r��gne �� bord vient d'��tre troubl��. L'effroi a succ��d�� �� la confiance, la terreur �� l'esp��rance. Le second est venu dire un mot, un seul mot �� l'oreille du capitaine, qui de suite, sans laisser remarquer aucune ��motion, est descendu dans la chambre; et ce seul mot a suffi pour r��pandre la consternation sur toutes les physionomies, auparavant si gaies, si satisfaites. Le capitaine est remont�� sur le pont. Il para?t tranquille, mais il commande avec plus de vivacit��; mais chacun sait avec quel art les marins se composent le visage �� force de courage. Personne n'ose l'interroger, mais on devine d��j�� la circonstance qui l'a engag�� �� faire changer la route du navire. On a vu de la fum��e sortir par les panneaux de l'avant; une odeur de feu s'est fait sentir. L'ordre de boucher les ��coutilles et toutes les issues de la cale a ��t�� donn��, pour ��touffer l'incendie, qui d��vore peut-��tre d��j�� les ponts qui s'��chauffent sous les pieds impatients de l'��quipage, plus alerte qu'on ne l'a jamais vu. Plus de doute, le feu est �� bord!
Personne d��sormais ne descendra dans la chambre; c'est sur le pont qu'il faudra bivouaquer. On cherche �� tout inonder sous la masse d'eau de ces seaux que l'on remplit sans cesse, et la fum��e sort plus ��paisse par les fentes o�� elle p��n��tre. On dispose les embarcations pour recevoir au besoin les hommes que le feu pourra chasser du bord. Un canot mis �� la mer fait le tour du navire, et sous les mains des matelots qui s'attachent aux bordages qu'on inonde �� coups d'��cope, le brai des coutures se fond, le fer des chevilles semble rougir. Un bruit sourd, comme celui du feu souterrain qui bout dans les veines d'un volcan, se fait entendre dans la cale, devenue un crat��re au milieu des flots. Sur ces gaillards o��, quelques heures auparavant, il n'y avait que joie et bonheur, s'��tendent �� demi morts des passagers qui ne veulent plus prendre de nourriture, et qui �� peine songent �� se couvrir; eux qu'on vit le matin si soigneux de leur toilette, si coquets dans leur ��l��gant n��glig��. Les marins seuls agissent, mais en silence; les commandements du capitaine sont devenus plus brefs, ses ordres sont ex��cut��s avec plus de promptitude. Il fait na?tre encore l'esp��rance dans des coeurs qui sans lui n'auraient plus rien �� esp��rer: ?Demain, r��p��te-t-il en regardant sa montre, nous serons �� terre �� cette heure-ci.? On ose �� peine croire �� cette proph��tie, et pourtant tous les yeux ne se raniment que lorsque la voix du chef, que le p��ril grandit, a redit cent fois la promesse qui console et qui fait esp��rer encore.
Oh! que la nuit va ��tre cruelle, et qu'elle semblera longue! Chaque minute semble rapprocher d'une lieue le navire du port, et chaque minute aussi peut faire ��clater l'incendie qui couve, qui craque, qui va peut-��tre s'��lancer sur sa proie. Que le jour sera long �� venir! et que la brise est faible pour pousser ce batiment, qui para?t se tra?ner et ne plus marcher! Il viendra cependant ce jour si d��sir��! si d��sir�� surtout des matelots plac��s sur les barres pour d��couvrir la terre ou un navire.... Le soleil s'��l��ve enfin sur cet horizon, qui jamais n'a paru si vaste.... Des nuages, fant?mes trompeurs, pr��sentent la forme d��cevante de la c?te que l'on cherche.... On a cri�� terre! le batiment approche avec le fl��au qu'il rec��le dans ses flancs �� moiti�� consum��s; mais cette c?te fantastique, sur laquelle tous les yeux se fixent comme pour la d��vorer, a disparu avec le vent, qui se joue si cruellement dans le ciel et sur les flots....
Le pont est devenu plus br?lant encore sous les pieds des hommes qui le parcourent pour manoeuvrer, et qui ne peuvent plus supporter sa chaleur. Un terrible craquement se fait entendre: la fum��e plus noire s'��chappe avec plus de force, des panneaux que le feu a gagn��s. Le capitaine a ordonn�� de faire embarquer dans les canots, les femmes d'abord, les passagers ensuite. Chaque officier fait ex��cuter l'ordre et se place dans une embarcation avec le nombre de matelots et de passagers qu'elle peut contenir. Quant au capitaine, il reste le dernier; c'est en vain que les cris de ses passagers, les pri��res de son second et de ses matelots, l'appellent dans la chaloupe: il veut parcourir encore de l'arri��re �� l'avant le batiment qu'il n'a pu arracher �� l'incendie, et qu'il va abandonner �� la fureur des flammes. Il jette avec douleur, et sans prof��rer
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