La maison de la courtisane | Page 9

Oscar Wilde
nul ne peut m'enlever, mon amour, et toute la gloire des étoiles.
=APOLOGIE=
Est-ce ta volonté que je grandisse et déchoie, que je troque mon drap d'or contre de la bure grise, et qu'à ton gré je tisse cette toile de douleur dont les fils les plus beaux sont autant de jours gaspillés?
Est-ce ta volonté,--Amour que j'aime si bien,--que la maison de mon ame soit un lieu de torture où, pareils à de vils amants, souvent habitent la flamme inextinguible, le ver qui ne meurt pas?
Ah! si c'est ta volonté que je souffre, et que je vende l'ambition au banal marché, que je fasse du morne échec mon vêtement, et que la souffrance creuse sa fosse au-dedans de mon coeur.
Peut-être est ce mieux ainsi. Du moins je n'ai pas fait de mon coeur un coeur de pierre, ni sevré mon enfance de ses honnêtes joies, ni passé où la Beauté est une chose inconnue.
Plus d'un homme a fait ainsi, essayé d'enclore de cha?nes étroites l'ame qui aurait d? être libre, foulé aux pieds la route poudreuse du sens commun tandis que toute la forêt chante la liberté.
Ne prenant pas garde comment le faucon moucheté, dans son vol, passait, l'aileron large à travers les hauteurs de l'air, là où quelque montagne altière, qu'aucun pied n'avait encore foulée, accrocha les dernières tresses de la chevelure du Dieu Soleil.
Ou comment la petite fleur qu'il avait cueillie, la paquerette, cette bouchée d'or aux blancs pétales, suivait de ses yeux pensifs le soleil errant, satisfaite si parfois ses feuilles étaient auréolées.
Mais s?rement c'est quelque chose d'avoir été un instant le bien aimé, d'avoir marché la main dans la main avec l'Amour et vu ses ailes de pourpre s'envoler à travers ton sourire.
Oui, encore que les aspics à gorge de la passion se repaissent du coeur de mon ami, j'ai brisé les barreaux, j'ai contemplé face à face la beauté, connu réellement l'Amour qui met en mouvement le soleil et toutes les étoiles.
=QUIA MULTUM AMAVI=
Cher Coeur, il me semble que le prêtre passionné, quand pour la première fois il tire du mystérieux tabernacle son Dieu emprisonné dans l'Eucharistie, et mange le pain, et boit le vin redoutable, n'éprouve pas un plus religieux effroi que je n'en sentis lorsque pour la première fois tombèrent en plein sur toi mes yeux éblouis, et lorsque pendant toute la nuit je restai à genoux à tes pieds, jusqu'à ce que tu fusses lasse d'idolatrie.
Ah! si tu avais eu pour moi moins d'amitié et plus d'amour pendant tous ces jours d'un été de joie et de pluie, je n'aurais pas aujourd'hui re?u en héritage la peine, je ne serais pas devenu un valet dans la maison de souffrance.
Pourtant, bien que le Remords, le sénéchal aux traits pales qui sert l'Amour, soit sur mes talons avec toute son escorte,--je suis très heureux de t'avoir aimée,--je songe à tous les soleils qui font bleuir la véronique.
=SILENTIUM AMORIS=
Ainsi que souvent le soleil trop resplendissant chasse la lune pale, malgré ses efforts, jusqu'en sa sombre grotte, avant même qu'elle ait obtenu une seule ballade du rossignol,--ainsi ta Beauté rend mes lèvres inhabiles et fait sonner faux mes chants les plus doux.
Et ainsi qu'à l'aurore, par-dessus la plaine de prairies, passera le vent d'ailes impétueuses, qui de son trop rude baiser brise le roseau qui seul pouvait servir d'instrument au chant. Ainsi mes passions trop orageuses me travaillent sans règle, et l'excès d'amour rend mon amour muet.
Mais s?rement mes yeux t'ont montré, à toi, la raison de mon silence, et du désaccord de mon luth, avant que notre séparation dev?nt fatale, et nous fit partir, toi vers des lèvres vibrant d'une plus douce mélodie, et moi pour évoquer le stérile souvenir de baisers non donnés, de chants jamais chantés.
=SA VOIX=
L'abeille sauvage tournoie incertaine de branche en branche, sous son vêtement de fourrure et son aile de gaze, dans la coupe d'un lis, ou met en branle la cloche d'une jacinthe, dans sa course errante. Asseois-toi plus près, amie. Ce fut ici, je crois, que je fis ce voeu.
Et jurai que deux existences n'en feraient qu'une, aussi longtemps que la mouette aimerait la mer, aussi longtemps que l'héliante chercherait le soleil. ?Vous et moi, dis-je, ce sera pour l'éternité.? Chère amie, ces jours sont finis, passés: le fil de l'amour est filé.
Lève les yeux vers ces peupliers qui se balancent, se balancent dans l'air de l'été. Ici dans la vallée, jamais une brise n'éparpille le duvet du chardon, mais là-bas soufflent de grands vents, venus des puissantes mers aux mystérieux murmures et des vastes espaces, que cinglent les vagues.
Regardez là-haut où la blanche mouette jette son cri aigu. Que voit-elle que nous ne voyons pas? Est-ce une étoile ou la lampe qui scintille sur quelque navire en route pour l'étranger? Ah! Se peut-il que nous ayons vécu nos vies

 / 28
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.