La maison de Claudine | Page 4

Colette
luxe, ��trang��re �� toute sa m��lancolie de Sauvage, manquait. Mais quoi?...
Il partit un matin �� cheval, trotta jusqu'au chef-lieu -- quarante kilom��tres --, battit la ville et revint la nuit d'apr��s, rapportant, avec un grand air de gaucherie fastueuse, deux objets ��tonnants, dont la convoitise d'une jeune femme p?t se trouver ravie: un petit mortier �� piler les amandes et les pates, en marbre lumachelle tr��s rare, et un cachemire de l'Inde.
Dans le mortier d��poli, ��br��ch��, je pourrais encore piler les amandes, m��l��es au sucre et au zeste de citron. Mais je me reproche de d��couper en coussins et en sacs �� main, le cachemire �� fond cerise. Car ma m��re, qui fut la Sido sans amour et sans reproche de son premier mari hypocondre, soignait chale et mortier avec des mains sentimentales.
-- Tu vois, me disait-elle, il me les a apport��s, ce Sauvage qui ne savait pas donner. Il me les a pourtant apport��s �� grand'peine, attach��s sur sa jument Mustapha. Il se tenait devant moi, les bras charg��s, aussi fier et aussi maladroit qu'un tr��s grand chien qui porte dans sa gueule une petite pantoufle. Et j'ai bien compris que, pour lui, ses cadeaux n'avaient figure de mortier ni de chale. C'��taient ?des cadeaux?, des objets rares et co?teux qu'il ��tait all�� chercher loin; c'��tait son premier geste d��sint��ress�� -- h��las! et le dernier -- pour divertir et consoler une jeune femme exil��e et qui pleurait...
AMOUR
-- Il n'y a rien pour le d?ner, ce soir... Ce matin, Tricotet n'avait pas encore tu��... Il devait tuer �� midi. Je vais moi-m��me �� la boucherie, comme je suis. Quel ennui! Ah! pourquoi mange-t- on? Qu'allons-nous manger ce soir?
Ma m��re est debout, d��courag��e, devant la fen��tre. Elle porte sa ?robe de maison? en satinette �� pois, sa broche d'argent qui repr��sente deux anges pench��s sur un portrait d'enfant, ses lunettes au bout d'une cha?ne et son lorgnon au bout d'un cordonnet de soie noire, accroch�� �� toutes les cl��s de porte, rompu �� toutes les poign��es de tiroir et renou�� vingt fois. Elle nous regarde, tour �� tour, sans espoir. Elle sait qu'aucun de nous ne lui donnera un avis utile. Consult��, papa r��pondra:
-- Des tomates crues avec beaucoup de poivre.
-- Des choux rouges au vinaigre, e?t dit Achille, l'a?n�� de mes fr��res, que sa th��se de doctorat retient �� Paris.
-- Un grand bol de chocolat! postulera L��o, le second.
Et je r��clamerai, en sautant en l'air parce que j'oublie souvent que j'ai quinze ans pass��s:
-- Des pommes de terre frites! Des pommes de terres frites! Et des noix avec du fromage!
Mais il para?t que frites, chocolat, tomates et choux rouges ne ?font pas un d?ner?...
-- Pourquoi, maman?
-- Ne pose donc pas de questions stupides...
Elle est toute �� son souci. Elle a d��j�� empoign�� le panier ferm��, en rotin noir, et s'en va, comme elle est. Elle garde son chapeau de jardin roussi par trois ��t��s, �� grands bords, �� petit fond cravat�� d'une ruche marron, et son tablier de jardini��re, dont le bec busqu�� du s��cateur a perc�� une poche. Des graines s��ches de nigelles, dans leur sachet de papier, font, au rythme de son pas, un bruit de pluie et de soie ��gratign��e au creux de l'autre poche. Coquette pour elle, je lui crie:
-- Maman! ?te ton tablier!
Elle tourne en marchant sa figure �� bandeaux qui porte, chagrine, ses cinquante-cinq ans, et trente lorsqu'elle est gaie.
-- Pourquoi donc? Je ne vais que dans la rue de la Roche.
-- Laisse donc ta m��re tranquille, gronde mon p��re dans sa barbe. O�� va-t-elle, au fait?
-- Chez L��onore, pour le d?ner.
-- Tu ne vas pas avec elle?
-- Non. Je n'ai pas envie aujourd'hui.
Il y a des jours o�� la boucherie de L��onore, ses couteaux, sa hachette, ses poumons de boeuf gonfl��s que le courant d'air irise et balance, roses comme la pulpe du b��gonia, me plaisent �� l'��gal d'une confiserie. L��onore y tranche pour moi un ruban de lard sal�� qu'elle me tend, transparent, du bout de ses doigts froids. Dans le jardin de la boucherie, Marie Tricotet, qui est pourtant n��e le m��me jour que moi, s'amuse encore �� percer d'une ��pingle des vessies de porc ou de veau non vid��es, qu'elle presse sous le pied ?pour faire jet d'eau?. Le son affreux de la peau qu'on arrache �� la chair fra?che, la rondeur des rognons, fruits bruns dans leur capitonnage immacul�� de ?panne? ros��e, m'��meuvent d'une r��pugnance compliqu��e, que je recherche et que je dissimule. Mais la graisse fine qui demeure au creux du petit sabot fourchu, lorsque le feu fait ��clater les pieds du cochon mort, je la mange comme une friandise saine... N'importe. Aujourd'hui, je n'ai gu��re envie de suivre maman.
Mon p��re n'insiste pas, se dresse agilement sur sa jambe unique, empoigne sa b��quille et sa canne et monte
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