subjugué la
moindre grande dame.
Paul aurait voulu que son ami le présentât dans les salons du noble
faubourg où Jean de Mirande aurait pu être reçu, à cause de son nom et
qu'il fuyait comme la peste. Mais quand Paul exprimait ce désir
ambitieux, Jean lui riait au nez et l'emmenait dîner chez Foyot.
Foyot est le café Anglais du quartier.
Ces messieurs y mangeaient habituellement, sans dédaigner cependant
de dîner quelquefois dans les bouillons d'alentour, à seule fin de rester
populaires parmi les étudiants moins opulents qu'eux.
Le dimanche, pendant la belle saison, Oreste et Pylade se montraient au
Luxembourg, à l'heure de la musique et, ces jours-là, ils faisaient des
concessions à la mode, en s'habillant d'une façon moins excentrique.
L'an passé, donc, par une claire journée dominicale du mois de mai, ils
se promenaient, bras dessus bras dessous, sur la terrasse qui domine le
grand bassin central, du côté de la rue de Fleurus.
C'est là que s'assemblent, pour jouir du concert gratuit, les habitantes de
ces régions reculées: honnêtes bourgeoises assises en rond sur des
chaises de louage et flanquées de demoiselles à marier; bonnes
d'enfants entourées de marmots et de militaires non gradés; habituées
de la Closerie des Lilas, circulant par groupes de deux ou trois et
blaguant les mères de famille.
Le ciel était splendide. Les marronniers en fleurs embaumaient l'air
tiède. Le printemps faisait sa rentrée, après six mois de relâche, pour
cause de brouillard et de frimas. Les arbres et les femmes avaient des
toilettes neuves.
Paul Cormier, lui aussi, s'était fait beau. Il portait une redingote noire,
coupée par un bon tailleur, un joli pantalon de fantaisie et des bottines
pointues, ni plus ni moins qu'un gommeux remontant les
Champs-Elysées, à l'heure où les équipages reviennent du Bois.
Et cette tenue élégante lui allait à merveille.
Jean de Mirande avait endossé, pour la circonstance, une espèce de
justaucorps en velours violet, boutonné jusqu'au menton; il avait
chaussé des bottes molles montant jusqu'au genou sur une culotte
gris-perle extra collante et, pour compléter ce mirifique costume, il
s'était coiffé, comme un Calabrais d'opéra-comique, d'un feutre pointu,
orné d'un large ruban vert.
Et, ainsi accoutré, il ne paraissait pas trop ridicule. Sa haute mine
sauvait tout et nul n'était tenté de se moquer de lui en face.
Les hommes attendaient, pour hausser les épaules, qu'il leur tournât le
dos. Les jeunes filles de bonne maison le suivaient des yeux à la
dérobée, et les mamans pensaient: «Voilà un beau gars!»
Lui, marchait la tête haute et la moustache au vent, remorquant son
camarade qui s'arrêtait souvent pour regarder les femmes et qui ne
passait point inaperçu, quoiqu'il n'eût ni l'imposante prestance ni les
airs vainqueurs du beau Mirande, Roi des Écoles et bourreau des
crânes.
En arrivant sur la terrasse, Paul Cormier avait avisé, assise contre le
piédestal d'une statue, une personne charmante.
Elle était sans cavalier, mais sans doute elle ne comptait pas rester seule
jusqu'à la fin du concert, car elle gardait deux chaises, près de celle
qu'elle occupait.
Paul qui ne manquait jamais la musique le dimanche, et qui, tous les
jours, traversait le jardin plutôt deux fois qu'une, Paul ne l'y avait
jamais rencontrée. Donc, elle venait de la rive droite. Sa toilette le
disait assez, une toilette élégante et de bon goût, comme on en voit peu
dans les environs de Saint-Sulpice.
Du reste, elle ne semblait pas s'apercevoir qu'elle attirait l'attention de
ce joli blond qui lui décochait une oeillade brûlante chaque fois qu'il
passait devant elle.
Et Paul se demandait déjà s'il avait enfin rencontré ce qu'il cherchait.
Etait-ce le début d'une aventure? Il l'espérait presque et il s'y serait
volontiers embarqué, sans savoir où elle le conduirait.
S'il avait pu prévoir comment elle devait finir, il aurait certainement
hésité.
La dame lisait un livre à couverture jaune, sans doute un roman
nouveau, et ce roman devait être fort intéressant, car elle ne levait pas
les yeux.
Paul Cormier, qui la lorgnait inutilement, commençait à se lasser de ce
manège improductif, lorsque Mirande, s'arrêtant tout à coup, lui dit:
--Ah! ça, qu'est-ce que tu as donc à te retourner à chaque instant? J'en
ai assez de te traîner comme un cheval rétif qu'on mène par la figure et
qui tire au renard.
--Une femme adorable, mon cher! murmura Cormier, en serrant le bras
de son ami.
--Où donc?... cette liseuse, là-bas, au pied d'une statue?... Elle n'est pas
mal, mais ce n'est pas la peine de risquer d'attraper un torticolis pour la
contempler... aborde-la carrément.
--Tu ne vois donc pas que c'est une femme du monde?... une vraie.
--Décidément, tu es encore plus jobard que je ne pensais.
--C'est toi qui a la manie de prendre toutes les femmes pour des
drôlesses. Celle-là est seule en ce moment,
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