articles de la législation comparée,
et que c'était là l'unique résultat des millions dépensés:
«Nous voulons donner au sénat un nouveau pouvoir judiciaire et nous
n'avons pas de lois! Aussi est-ce un crime, mon prince, pour des
personnes comme vous, de se retirer dans la vie privée.»
Le prince André lui fit observer que pour ce genre d'occupations il était
nécessaire d'avoir reçu une éducation spéciale.
«Montrez-moi ceux qui la possèdent? c'est un cercle vicieux, dont on
ne peut sortir qu'en le bridant.»
Une semaine plus tard, le prince André fut nommé membre du comité
chargé de l'élaboration du code militaire et, de plus, au moment où il y
songeait le moins, chef d'une des sections de cette commission
législative. Il consentit, à la prière de Spératisky, à s'occuper du code
civil, et, s'aidant des codes Napoléon et Justinien, il travailla à la partie
qui avait pour titre: «Le droit des gens».
VII
Deux ans auparavant, en 1808, Pierre, revenu de son voyage dans
l'intérieur, se trouva, sans s'y attendre, à la tête de la franc-maçonnerie
de Pétersbourg. Il organisa «des loges de table», constitua des loges
régulières, en leur procurant leurs chartes et leurs titres de fondation; il
fit de la propagande, donna de l'argent pour l'achèvement du temple, et
compléta de ses deniers les aumônes produites par les quêtes, au sujet
desquelles les membres se montraient en général avares et inexacts. Il
entretint aussi à ses frais la maison des pauvres fondée par l'ordre, et, se
laissant aller aux mêmes entraînements, il employait sa vie comme par
le passé. Il aimait à bien manger, à bien boire, et ne pouvait s'abstenir
des plaisirs de la vie de garçon, tout en les jugeant immoraux et
dégradants.
Malgré l'ardeur qu'il avait apportée au début de ses différentes
occupations, il sentit, à la fin de l'année, que la terre promise de la
franc-maçonnerie se dérobait sous ses pas. Il éprouva la sensation d'un
homme qui, mettant avec confiance le pied sur une surface unie, sent
qu'il s'enfonce dans un marais; y posant l'autre pied, afin de bien se
rendre compte de la solidité du terrain, il s'y embourba jusqu'aux
genoux, et maintenant il y marchait malgré lui.
Bazdéïew, complètement éloigné de la direction des loges de
Pétersbourg, ne quittait plus Moscou. Les frères étaient des hommes
que Pierre coudoyait chaque jour dans la vie ordinaire, et il lui était à
peu près impossible de ne voir que des frères dans la personne du
prince B. ou de monsieur D., qu'il connaissait pour des gens faibles et
sans valeur. Sous leurs tabliers de francs-maçons, sous leurs insignes, il
voyait poindre leurs uniformes et leurs croix, qui étaient le véritable
objet de leur existence. Souvent, lorsqu'il ramassait les aumônes et qu'il
inscrivait vingt ou trente roubles à l'actif, souvent même au passif d'une
dizaine de membres plus riches que lui, Pierre se rappelait leur serment
de donner leur avoir au prochain, et il s'élevait dans son âme des doutes
qu'il essayait en vain d'écarter.
Ses frères se partageaient pour lui en quatre catégories: à la première
appartenaient ceux qui ne prenaient aucune part active ni aux affaires
de la loge, ni aux affaires de l'humanité, exclusivement occupés à
approfondir les mystères de leur ordre, à rechercher le sens de la Trinité,
à étudier les trois bases générales, le soufre, le mercure et le sel, ou la
signification du carré et des autres symboles du Temple de Salomon.
Ceux-là, Pierre les respectait, c'étaient les anciens et Bazdéïew
lui-même; mais il ne comprenait pas quel intérêt ils pouvaient prendre à
leurs recherches, et ne se sentait nullement porté vers le côté mystique
de la franc-maçonnerie.
La seconde catégorie, dans laquelle il se rangeait, se composait
d'adeptes qui, vacillants comme lui, cherchaient la véritable voie, et qui,
ne l'ayant pas encore découverte, ne perdaient pas néanmoins l'espoir
de la trouver un jour.
La troisième comprenait ceux qui, ne voyant dans cette association que
les formes et les cérémonies extérieures, s'en tenaient à la stricte
observance, sans se préoccuper du sens caché; tels étaient Villarsky et
le Vénérable lui-même.
La quatrième enfin était formée des gens, très nombreux à cette époque,
qui, ne croyant à rien, ne désirant rien, ne tenaient à l'ordre que pour se
rapprocher des riches et des puissants, et mettre à profit leurs relations
avec eux.
L'activité de Pierre ne le satisfaisait pas: il reprochait à leur association,
telle qu'il la voyait à Pétersbourg, de n'être qu'un pur formalisme, et il
se disait, sans attaquer toutefois les fondements de l'institution, que les
maçons de Russie faisaient fausse route en s'éloignant ainsi des
principes sur lesquels elle était fondée; aussi se décida-t-il à aller à
l'étranger pour se faire initier aux mystères les plus élevés.
Il en revint dans le cours de l'été de 1809. Les
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