La guerre et la paix, Tome I | Page 5

Leo Nikoleyevich Tolstoy
d'intelligent, et ses yeux s'��carquillaient en passant rapidement de l'un �� l'autre, comme ceux d'un enfant dans un magasin de joujoux, tant il craignait de manquer une conversation frapp��e au coin de l'esprit. En regardant ces personnages dont les figures ��taient distingu��es et pleines d'assurance, il en attendait toujours un mot fin et spirituel. La conversation de l'abb�� Morio l'ayant attir��, il s'arr��ta, cherchant une occasion de donner son avis: car c'est le faible de tous les jeunes gens.
III
La soir��e d'Anna Pavlovna ��tait lanc��e, les fuseaux travaillaient dans tous les coins, sans interruption. �� l'exception de la tante, assise pr��s d'une autre dame ag��e dont le visage ��tait creus�� par les larmes et qui se trouvait un peu d��pays��e dans cette brillante soci��t��, les invit��s s'��taient divis��s en trois groupes. Au centre du premier, o�� dominait l'��l��ment masculin, se tenait l'abb��; le second, compos�� de jeunes gens, entourait H��l��ne, la beaut�� princi��re, et la princesse Bolkonsky, cette charmante petite femme, si jolie et si fra?che, quoiqu'un peu trop forte pour son age; le troisi��me s'��tait form�� autour de Mortemart et de Mlle Sch��rer.
Le vicomte, dont le visage ��tait doux et les mani��res agr��ables, posait pour l'homme c��l��bre; mais, par biens��ance, il laissait modestement �� la soci��t�� qui l'entourait le soin de faire les honneurs de sa personne. Anna Pavlovna en profitait visiblement �� la fa?on d'un bon ma?tre d'h?tel, qui vous recommande, comme un mets choisi et recherch��, certain morceau qui, pr��par�� par un autre, n'aurait pas ��t�� mangeable: elle avait ainsi servi �� ses invit��s le vicomte d'abord, et l'abb�� ensuite, deux bouch��es d'une exquise d��licatesse. Autour de Mortemart, on causait de l'assassinat du duc d'Enghien. Le vicomte soutenait que le duc ��tait mort par grandeur d'ame, et que Bonaparte avait des raisons personnelles de lui en vouloir.
?Ah oui! contez-nous cela, vicomte,? dit gaiement Anna Pavlovna, qui avait trouv�� dans cette phrase: ?contez-nous cela, vicomte,? un vague parfum Louis XV.
Le vicomte sourit et s'inclina en signe d'assentiment. Il se fit un cercle autour de lui, tandis qu'Anna Pavlovna invitait les gens �� l'��couter.
?Le vicomte, dit-elle tout bas �� son voisin, connaissait le duc intimement; le vicomte, r��p��ta-t-elle en se tournant vers un autre, est un conteur admirable; le vicomte (ceci s'adressait �� un troisi��me) appartient au meilleur monde, cela se voit tout de suite.?
Voil�� comment le vicomte se trouvait offert au public comme un gibier rare, avec la mani��re d'offrir la plus distingu��e et la plus all��chante; il souriait avec finesse au moment de commencer son r��cit.
?Venez vous asseoir ici, ma ch��re H��l��ne,? dit Anna Pavlovna en s'adressant �� la belle jeune fille qui ��tait le centre d'un autre groupe.
La princesse H��l��ne garda en se levant cet inalt��rable sourire qu'elle avait sur les l��vres depuis son entr��e et qui ��tait son apanage de beaut�� sans rivale. Fr?lant �� peine, de sa toilette blanche garnie de lierre et d'herbages, les hommes, qui se reculaient pour la laisser passer, elle avan?a toute scintillante du feu des pierreries, du lustre de ses cheveux, de l'��blouissante blancheur de ses ��paules, symbole vivant de l'��clat d'une f��te. Elle ne regardait personne; mais, souriant �� tous, elle accordait pour ainsi dire �� chacun le droit d'admirer la beaut�� de sa taille, ses ��paules si rondes, que son corsage ��chancr�� �� la mode du jour laissait �� d��couvert, ainsi qu'une partie de la gorge et du dos. H��l��ne ��tait si merveilleusement belle qu'elle ne pouvait avoir l'ombre de coquetterie; elle se sentait en entrant comme g��n��e d'une beaut�� si parfaite et si triomphante, et elle aurait d��sir�� en affaiblir l'impression, qu'elle n'aurait pu y r��ussir.
?Qu'elle est belle!? s'��criait-on en la regardant.
Le vicomte eut un mouvement d'��paules en baissant les yeux, comme frapp�� par une apparition surnaturelle, pendant qu'H��l��ne s'asseyait pr��s de lui, en l'��clairant, lui aussi, de son ��ternel sourire.
?Je suis, dit-il, tout intimid�� devant un pareil auditoire.?
H��l��ne, appuyant son beau bras sur une table, ne jugea pas n��cessaire de r��pondre; elle souriait et attendait. Tout le temps que dura le r��cit, elle se tint droite, abaissant parfois son regard sur sa belle main potel��e, sur sa gorge encore plus belle, jouant avec le collier de diamants qui l'ornait, ��talant sa robe, et se retournant aux endroits dramatiques vers Anna Pavlovna, pour imiter l'expression de sa physionomie et reprendre ensuite son calme et placide sourire.
La petite princesse avait ��galement quitt�� la table de th��.
?Attendez, je vais prendre mon ouvrage. Eh bien! que faites-vous? �� quoi pensez-vous? dit-elle �� Hippolyte. Apportez-moi donc mon ridicule.?
La princesse, riant et parlant �� la fois, avait caus�� un d��placement g��n��ral.
?Je suis tr��s bien ici,? continua-t-elle en s'asseyant pour recevoir son ridicule des mains du prince Hippolyte, qui avan?a un fauteuil et se pla?a �� c?t�� d'elle.
Le ?charmant Hippolyte? ressemblait d'une mani��re frappante �� sa soeur, ?la belle des belles,? quoiqu'il f?t
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