La guerre et la paix, Tome I | Page 4

Leo Nikoleyevich Tolstoy
�� la veille d'��tre m��re, portait si l��g��rement son fardeau. Apr��s avoir ��chang�� quelques mots avec elle, tous, jeunes gens ennuy��s ou vieillards moroses, se figuraient qu'ils ��taient bien pr��s de lui ressembler, ou qu'ils avaient ��t�� particuli��rement aimables, grace �� son gai sourire, qui �� chaque parole faisait briller ses petites dents blanches.
La petite princesse fit le tour de la table �� petits pas et en se dandinant; puis, apr��s avoir arrang�� les plis de sa robe, elle s'assit sur le canap�� �� c?t�� du samovar, de l'air d'une personne qui n'avait eu dans tout cela qu'un seul but, son propre plaisir et celui des autres.
?J'ai apport�� mon ouvrage, dit-elle en ouvrant son sac et en s'adressant �� la soci��t�� en g��n��ral.--Prenez garde, Annette, n'allez pas me jouer quelque m��chant tour; vous m'avez ��crit que votre soir��e serait toute petite; aussi voyez comme me voil�� attif��e...? Et elle ��tendit les bras pour mieux faire valoir son ��l��gante robe grise, garnie de dentelles, et serr��e un peu au-dessous de la gorge par une large ceinture.
?Soyez tranquille, Lise, vous serez malgr�� tout la plus jolie.
--Savez-vous que mon mari m'abandonne? continua-t-elle, en s'adressant du m��me ton �� un g��n��ral: il va se faire tuer!
--�� quoi bon cette horrible guerre?? dit-elle au prince Basile.
Et, sans attendre sa r��ponse, elle se mit �� causer avec la fille du prince, la belle H��l��ne.
?Quelle gentille personne que cette petite princesse,? dit tout bas le prince Basile �� Anna Pavlovna!
Bient?t apr��s, un jeune homme, gros et lourd, aux cheveux ras, fit son entr��e dans le salon. Il portait des lunettes, un pantalon clair �� la mode de l'��poque, un immense jabot et un habit brun. C'��tait le fils naturel du comte Besoukhow, un grand seigneur tr��s connu du temps de Catherine et qui se mourait en ce moment �� Moscou. Le jeune homme n'avait encore fait choix d'aucune carri��re; il arrivait de l'��tranger, o�� il avait ��t�� ��lev��, et se montrait pour la premi��re fois dans le monde. Anna Pavlovna l'accueillit avec le salut dont elle gratifiait ses h?tes les plus obscurs. Pourtant, �� la vue de Pierre, et malgr�� ce salut d'un ordre inf��rieur, sa figure exprima un m��lange d'inqui��tude et de crainte, sentiment que l'on ��prouve �� la vue d'un objet colossal qui ne serait pas �� sa place. Pierre ��tait effectivement d'une stature plus ��lev��e que les autres invit��s; mais l'inqui��tude d'Anna Pavlovna provenait d'une autre cause: elle craignait ce regard bon et timide, observateur et sinc��re, qui le distinguait du reste de la compagnie.
?C'est on ne peut plus aimable �� vous, monsieur Pierre, d'��tre venu voir une pauvre malade,? dit-elle en ��changeant avec sa tante des regards troubl��s pendant qu'elle le lui pr��sentait.
Pierre balbutia quelque chose d'inintelligible, en continuant �� laisser errer ses yeux autour de lui. Tout �� coup il sourit gaiement et salua la petite princesse comme une de ses bonnes connaissances, puis il s'inclina devant ?la tante?. Anna Pavlovna avait bien raison de s'inqui��ter, car Pierre quitta ?la tante? brusquement, sans m��me attendre la fin de sa phrase sur la sant�� de Sa Majest��. Elle l'arr��ta tout effray��e:
?Connaissez-vous l'abb�� Morio? lui dit-elle. C'est un homme fort int��ressant.
--Oui, j'ai entendu parler de son projet d'une paix perp��tuelle; c'est tr��s spirituel..., mais ce n'est gu��re praticable.
--Croyez-vous?? dit Anna Pavlovna, pour dire quelque chose, en rentrant dans son r?le de ma?tresse de maison.
Mais Pierre se rendit coupable d'une seconde incivilit��: il venait d'abandonner une de ses interlocutrices, sans attendre la fin de sa phrase, et maintenant il retenait l'autre, qui voulait s'��loigner, en lui expliquant, la t��te pench��e et ses grands pieds solidement riv��s au parquet, pourquoi le projet de l'abb�� Morio n'��tait qu'une utopie.
?Nous en causerons plus tard,? dit en souriant Mlle Sch��rer.
S'��tant d��barrass��e de ce jeune homme, qui ne savait pas vivre, elle retourna �� ses occupations, ��coutant, regardant, pr��te �� intervenir sur les points faibles et �� remettre �� flot une conversation languissante. Elle imitait en cela la conduite d'un contrema?tre de filature, qui, en se promenant au milieu de ses ouvriers, remarque l'immobilit�� ou le son criard, inusit��, bruyant, d'un fuseau, et s'empresse �� l'instant de l'arr��ter ou de le lancer. Telle Anna Pavlovna se promenait dans son salon, s'approchait tour �� tour d'un groupe silencieux ou d'un cercle bavard; un mot de sa bouche, un d��placement de personnes habilement op��r��, remontait la machine �� conversation, qui continuait �� tourner d'un mouvement ��gal et convenable. La crainte que lui inspirait Pierre se trahissait au milieu de ses soucis; en le suivant des yeux, elle le vit se rapprocher pour ��couter ce qui se disait autour de Mortemart et gagner ensuite le cercle de l'abb�� Morio. Quant �� Pierre, ��lev�� �� l'��tranger, c'��tait sa premi��re soir��e en Russie; il savait qu'il avait autour de lui tout ce que P��tersbourg contenait
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