comme celui
d'une colombe, elle prit congé de Briggs, à laquelle M. Pitt fit un salut
vraiment digne de ceux qu'il adressait à la grande duchesse Poupernicle
lorsqu'il était attaché comme envoyé extraordinaire à sa cour.
L'adroit diplomate avait bien profité des leçons du machiavélique
Binkie. C'était lui qui avait donné à lady Jane l'exemplaire des poésies
de Briggs, qu'il avait ramassé dans un coin à Crawley-la-Reine,
exemplaire enrichi d'une dédicace adressée par cette huitième muse à la
première femme du baronnet. Il avait apporté ce volume à sa fiancée,
ayant d'abord eu le soin de le lire pendant la route et de marquer au
crayon les passages dont la douce lady Jane devait se montrer le plus
frappée.
M. Pitt fit briller aux yeux de lady Southdown les immenses avantages
qui pourraient résulter d'une plus grande intimité de rapports avec miss
Crawley; il les lui montra surtout comme alliant à la fois l'intérêt de ce
monde à celui du ciel. Miss Crawley vivait désormais seule et
abandonnée; ce réprouvé de Rawdon, par ses écarts monstrueux, par
son mariage, s'était aliéné sans retour les affections de sa tante. La
tyrannie intéressée de mistress Bute Crawley avait poussé la vieille fille
à se révolter contre les prétentions envahissantes de sa cupide parente.
Quant à lui, bien qu'il se fût abstenu jusqu'à ce jour par un orgueil
exagéré peut-être de toute marque de déférence ou de tendresse à
l'égard de miss Crawley, il pensait que le moment était venu d'arriver
par tous les moyens possibles à arracher cette âme à l'ennemi du genre
humain, et à assurer à sa personne l'héritage de sa chère parente, en sa
qualité de chef de la maison Crawley.
Lady Southdown, la femme forte de l'Écriture, tomba d'accord sur tous
ces points avec son futur gendre; et dans l'ardeur de son zèle, la
conversion de miss Crawley lui semblait l'affaire d'un tour de main.
Dans ses domaines de Southdown, cette géante de la vérité ne
daignait-elle pas elle-même parcourir en calèche les campagnes qu'elle
voulait initier à la grande lumière? N'envoyait-elle pas de tous côtés des
émissaires chargés d'inonder le pays d'une pluie de ses manuels?
Gros-Jean recevait ainsi l'ordre de se convertir sans délai; Petit-Pierre,
de lire sa prose sans résistance ni appel au clergé régulier.
Milord Southdown, nature épileptique et obtuse, approuvait et ratifiait
les faits et gestes de sa Mathilde. Les croyances de milady se
transformant sans cesse, ses opinions variaient à l'infini, par suite de la
multitude des docteurs dissidents admis dans son intimité. N'importe
quiconque était dans sa dépendance, devait la suivre pas à pas et les
yeux fermés. Qu'elle s'adressât, suivant son caprice du moment, au
révérend Saunders Mac Nitre, le divin Écossais, ou au révérend Luke
Waters, l'angélique Wesleyen, ou à Giles Jowis, le savetier illuminé,
enfants, domestiques, fermiers, tout le monde était tenu d'aller, à la
suite de milady, s'incliner devant eux et de dire Amen à chacune des
professions de foi de ces différents docteurs.
Pendant les exercices de piété, milord Southdown, usant du bénéfice de
son tempérament souffreteux, obtenait l'autorisation de rester dans sa
chambre à boire du vin chaud, tout en écoutant lire son journal. Lady
Jane était la préférée du vieux comte, mais aussi elle l'entourait des
soins les plus tendres et les plus sincères. Quant à lady Émilie, auteur
de la Blanchisseuse de Finchley-Common, elle peignait sous des
couleurs si terribles les châtiments de l'autre monde, qu'elle jetait
l'épouvante dans l'esprit craintif de son vieux père et que ses accès
d'épilepsie, d'après l'avis des médecins, avaient pour principale cause
les sermons de cette enthousiaste prédicante.
--Eh bien! oui, j'irai la voir, répondit lady Southdown à M. Pitt, en se
rendant à la logique puissante du prétendu de sa fille. Savez-vous quel
est le médecin de miss Crawley?»
M. Crawley nomma M. Creamer.
«Un praticien des plus dangereux et des plus ignorants, mon cher Pitt.
La providence, dans ses adorables desseins, a permis que je lui serve
d'instrument pour en purger déjà plusieurs maisons; deux ou trois fois,
malheureusement, je suis arrivée trop tard; entre autres, chez ce pauvre
général Glanders qui allait mourir entre les mains de cet âne fieffé.
Grâce aux pilules de Podger, que je lui ai administrées, il y a eu
quelques jours de mieux; mais hélas! il était trop tard pour que l'effet
pût être durable; sa mort du moins a été des plus douces; et si la
providence l'a retiré de ce monde, c'est sans doute pour son plus grand
bien. Je reviens à Creamer, mon cher Pitt; il ne peut rester auprès de
votre tante.»
Pitt se rangea tout à fait à cet avis. Lui aussi subissait, comme les autres,
l'ascendant de sa noble parente et future belle-mère. Son esprit et son
estomac étaient assez robustes pour supporter également bien
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