La foire aux vanités, Tome I | Page 9

William Makepeace Thackeray
dire
toute la vérité sur l'affaire du révérend Crisp, la marchande de gâteaux
insinua à quelqu'un, qui affirma le fait sous la foi du serment à une
autre personne, qu'il y en avait beaucoup plus entre Mr. Crisp et miss
Sharp qu'on n'en avait confié au public, et que cette lettre était la
réponse à une autre. Mais qui pourra découvrir la vérité sur ce point?
En tout cas, si ce n'était pas pour Rebecca un début dans le monde,
c'était du moins une rentrée.
Dans le cours du trajet jusqu'à la barrière de Kensington, Amélia, sans

avoir oublié ses compagnes, avait fini par sécher ses larmes. D'abord
elle avait rougi avec un sentiment de plaisir à la vue d'un jeune officier
des Horse-Guards qui avait caracolé à la portière, et, lui jetant un coup
d'oeil, avait dit: «Vrai Dieu! la jolie fille.» Puis, avant d'arriver à
Russell-Square, la conversation s'était longuement étendue sur l'article
des modes. Les jeunes femmes portaient-elles de la poudre sur leurs
cheveux, des baleines dans leurs jupes à la présentation? Miss Amélia
aurait-elle cet honneur? car elle savait qu'on devait la mener au bal du
lord-maire. Arrivée à la maison paternelle, miss Sedley, à l'aide du bras
de Sambo, s'élança aussi gaie, aussi radieuse qu'aucune fille de la
bonne Cité de Londres, et tous les serviteurs de la maison étaient réunis
dans la cour pour fêter leur jeune maîtresse et sourire à sa bienvenue.
Après ces premiers embrassements, miss Sedley montra à Rebecca
toutes les chambres de la maison et ce qu'il y avait dans chaque
chambre, ses livres, son piano, ses robes, tous ses colliers, ses broches,
ses dentelles. Elle força Rebecca d'accepter des bagues de cornaline et
de turquoise, et une écharpe de mousseline légère qui maintenant était
trop petite pour elle; en dépit de la discrétion dont son amie s'était
armée, elle demanda à sa mère l'autorisation de lui offrir son châle de
cachemire blanc. Elle pouvait bien s'en passer, puisque son frère Joseph
lui en rapportait deux de l'Inde.
Quand Rebecca vit les deux magnifiques châles de cachemire que
Joseph Sedley avait rapportés à sa soeur, elle dit avec un accent de
vérité: «Ce doit être très-bon d'avoir un frère;» ce qui toucha de
compassion le coeur sensible d'Amélia: elle pensait que son amie était
seule au monde, pauvre orpheline, sans amis, sans parents.
«Non, vous ne serez pas abandonnée, Rebecca, dit Amélia; je serai
votre amie, je vous aimerai comme une soeur; oui, comme une soeur.
--Mais où trouver des parents comme les vôtres, bons, riches,
affectionnés, qui vous donnent tout ce que vous désirez, et leur amour
plus précieux que tout le reste? Mon pauvre père ne me donnait rien, et
je n'avais en tout que deux robes. Vous avez un frère, un bon frère!
vous devez bien l'aimer!»

Amélia se mit à rire.
«Eh quoi! ne l'aimez-vous pas, vous qui dites que vous aimez tout le
monde?
--Oui, sans doute.... seulement....
--Seulement, quoi?
--Seulement Joseph semble s'inquiéter fort peu si je l'aime on non. Il
m'a donné ses deux doigts à serrer après une absence de dix années. Il
est très-bon, très-dévoué, mais il me parle rarement, et je crois qu'il
aime mieux sa pipe que sa....»
Ici Amélia s'interrompit, car pourquoi dire du mal de son frère?
«Il était très-bon pour moi quand j'étais enfant, continua-t-elle; je
n'avais que cinq ans quand il est parti.
--Il doit être très-riche, reprit Rebecca, car on dit que tous les nababs
indiens le sont énormément.
--Je crois qu'il a un très-gros revenu.
--Est-elle gentille, votre belle-soeur?
--Allons donc! Joseph n'est point marié,» dit Amélia se remettant à rire.
Peut-être en avait-elle déjà informé Rebecca; mais cette jeune femme
ne fit pas semblant de s'en souvenir. Elle répéta même plusieurs fois
qu'elle s'attendait à voir à Amélia toute une bande de neveux et de
nièces. Elle regrettait beaucoup que Mr. Sedley ne fût pas marié; elle
était sûre qu'Amélia lui avait dit qu'il l'était; pour sa part, elle raffolait
des petits enfants.
«Je crois que vous en aviez suffisamment à Chiswick,» dit Amélia, tout
étonnée de cette tendresse subite de son amie.
Hier encore, miss Sharp ne se serait pas hasardée à avancer des

propositions dont on eût pu si facilement démontrer la fausseté; mais
rappelons-nous qu'elle n'avait que dix-neuf ans, et qu'elle était bien
novice dans l'art de feindre, l'innocente créature. Toutefois, le motif de
cette série de questions pouvait se traduire tout simplement de la sorte:
«Si Mr. Joseph Sedley est riche et garçon, pourquoi ne l'épouserai-je
pas? Je n'ai que quinze jours devant moi, à la vérité, mais je ne risque
rien d'en faire l'essai.»
Elle arrêta, dans son esprit, cette louable tentative. Elle redoubla de
caresses pour Amélia, elle couvrit de baisers le collier de cornaline, et
déclara qu'elle ne
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