La foire aux vanités, Tome I | Page 4

William Makepeace Thackeray
Saltire, qui, soit dit en passant, était fort rapée.
--N'attendez pas la poste, mais écrivez-moi chaque jour, mon cher coeur,? dit l'impétueuse mais affectionnée miss Swartz.
Et la petite Laura Martin prit la main de son amie et la regardant d'un air sérieux:
?Amélia, dans mes lettres, je vous appellerai ma maman.?
(Eh bien, ma?tre Jones[1], qui lisez ce livre à votre cercle, vous traitez, j'en suis s?r, tous ces détails de bouffonneries grotesques et de bavardage ultra-sentimental. Oui, je vous vois, ma?tre Jones, tout réjoui, en tête à tête avec votre morceau de mouton et votre bouteille de vin, prendre votre crayon et écrire à la marge: Niaiseries, bavardages, etc., etc.... Voilà bien un de ces génies sublimes qui n'admirent que le grand, que l'héro?que, dans la vie comme dans les romans. Dans ce cas, il fera bien de prendre congé de nous et de tourner ses pas d'un autre c?té. Ceci dit, nous poursuivons.)
[Note 1: Ceci est un colloque entre l'auteur et le lecteur anglais. Le lecteur fran?ais n'a donc à y voir aucune personnalité à son endroit, et peut se livrer sans respect humain à tous les entra?nements de la sensibilité. (Note du traducteur.)]
Pendant que Sambo pla?ait dans la voiture les fleurs, les présents, les malles et les bo?tes à chapeaux de miss Sedley, ainsi qu'un coffre en cuir bien petit, bien usé, sur lequel miss Sharp avait très-proprement attaché son carton, et que M. Sambo tendit au cocher avec une grimace à laquelle celui-ci répondit par un rire d'intelligence, l'heure du départ arriva.
La douleur de ces derniers moments fut moins vive, grace à l'admirable discours que miss Pinkerton adressa à son élève: non que ce discours de séparation disposat Amélia à des réflexions philosophiques ou qu'il l'e?t armée de calme contre les épreuves de la vie, ce qui formait la conclusion du discours; mais c'est qu'il était d'une épaisseur, d'une prétention, d'un ennui qui dépassait toute limite, et miss Sedley craignait trop sa ma?tresse de pension pour laisser percer aucune marque d'impatience. Un gateau à l'anis, une bouteille de vin, furent apportés dans le salon, comme aux occasions solennelles des visites de parents. Après avoir pris sa part de ces rafra?chissements, miss Sedley put songer à partir.
?Voulez-vous entrer, Becky, et prendre congé de miss Pinkerton? dit miss Jemima à une jeune fille à laquelle personne ne faisait attention, et qui descendait l'escalier, tenant à la main son carton à bonnets.
--Je le dois,? dit miss Sharp avec un grand calme et au grand étonnement de miss Jemima.
Puis elle frappa à la porte, et, ayant re?u la permission d'entrer, elle s'avan?a sans la moindre hésitation et dit en fran?ais, avec la plus grande pureté d'accent: Mademoiselle, je viens vous faire mes adieux.
Miss Pinkerton ne comprenait rien au fran?ais, bien qu'elle dirigeat des élèves qui l'entendaient. Elle se mordit les lèvres, releva sa vénérable face ornée d'un nez à l'antique, et au sommet de laquelle se dessinait un large et majestueux turban.
?Miss Sharp, dit-elle, je vous souhaite le bonjour.?
Et, en parlant, la Sémiramis d'Hammersmith allongeait le bras comme en signe d'adieu et pour donner à miss Sharp l'occasion de serrer un des doigts de sa main, qui resta en route dans ce dessein.
Miss Sharp retira la main avec un sourire glacial et une profonde révérence, et refusa l'honneur qu'on voulait lui faire. A ce mouvement, le turban de la Sémiramis éprouva une secousse d'indignation telle qu'il n'en ressentit jamais de pareille. Dans le fait, c'était une petite lutte entre la jeune personne et la vieille matrone, et celle-ci avait le dessous.
?Le ciel vous bénisse, mon enfant! dit-elle en embrassant Amélia et en lan?ant un regard flamboyant à miss Sharp par-dessus l'épaule de la jeune fille.
--Sortez vite, Becky,? dit miss Jemima tout en émoi à la jeune personne, en la poussant hors du salon.
Et la porte se referma sur elle pour toujours.
Dans la cour commencèrent les scènes déchirantes du départ; les mots nous manquent pour une telle peinture. Tous les domestiques étaient réunis, toutes les bonnes amies, toutes les jeunes pensionnaires, et jusqu'au ma?tre de danse qui venait d'arriver. Ce n'étaient que plaintes, embrassades, larmes et lamentations, sans oublier les crises nerveuses de miss Swartz, l'élève en chambre, qui, de sa fenêtre se livrait à des transports que la plume désespère de retracer; un coeur sensible saura gré qu'on lui fasse grace de ces détails.
Les adieux sont finis, et nos voyageurs, ou plut?t miss Sedley a quitté ses amies; car, pour miss Sharp, elle était entrée sans bruit dans la voiture, et personne ne gémissait de la perdre.
Sambo ferma la portière sur sa jeune ma?tresse en larmes, et grimpa derrière la voiture.
?Arrêtez! cria miss Jemima s'élan?ant vers la grille avec un paquet. Voici des sandwichs, ma chère, dit-elle à Amélia; vous pourriez avoir faim; et vous, Becky, Becky Sharp, voici un livre pour vous
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 184
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.