l'affaire est manquée!
--Bateau! que le diable m'emporte si je sais...
--Notre proie s'est échappée.
--Quelle proie?
--Qu'as-tu fait, ce soir? Tache de me répondre correctement, quoique tu sois ivre comme un Polonais.
--Ce que j'ai fait, ce que j'ai fait, bateau! ce que j'ai fait, oh! j'ai gagné notre procès, bourgeois.
--Oui, mais où est l'enfant!
Mike courut au lit.
--Oh! dit-il, d'un ton mena?ant, après y avoir jeté un coup d'oeil, la Camarde a voulu manger à ma botte de foin. Un moment, un moment!
Il sortit, et bient?t l'on per?ut le bruit d'une violente dispute, ensuite un grand cri...
Laren?on étonné se disposait à rejoindre l'Irlandais, lorsque celui-ci rentra. Il tenait à la main un long couteau dégouttant de sang.
--C'est réparé! dit-il froidement, en essuyant la lame de l'arme sur la manche de son habit.
--Mais l'enfant!
Mike parla durant plusieurs minutes à l'oreille de Laren?on, et à la fin ce dernier, dont le visage avait donné des signes de satisfaction visible, s'écria:
--Parfait! Tu as eu raison. Aussi bien il était temps d'en finir avec elle. Mais le chien!
--Le chien, bateau! c'est juste le chien.... Oh! j'ai mon idée. Ne vous inquiétez pas.
L'Irlandais sortit de nouveau, et Laren?on se jeta sur la causeuse, ou il demeura près d'une heure plongé dans un ab?me de réflexions.
Au retour de l'autre, il se leva.
--Partez le premier, dit Mike, en lui remettant entre les bras un enfant endormi.
Le mystérieux personnage examina une seconde la figure de l'enfant, l'enveloppa soigneusement dans son manteau, sauta par la fenêtre et disparut.
Mike alors défit le lit, renversa les matelas au milieu de la chambre, éparpilla les feuilles de ma?s qui remplissaient la paillasse, saisit la lampe, mit le feu à trois ou quatre places différentes, sauta par la fenêtre et disparut à son tour.
L'aurore commen?ait à poindre.
DEUXIèME PARTIE
L'éVASION
I
--Numéro 1. Onze heures! Rien ne bouge.
--Numéro 2. Onze heures! Bien ne bouge! reprit le deuxième factionnaire.
Ce cri, passé de bouche en bouche, et répété par toutes les sentinelles, fit le tour de la prison de Montréal.
II
La prison de Montréal était un batiment situé sur la rue Notre-Dame, presque vis-à-vis de la place Jacques-Cartier et adossé au Champ-de-Mars. Des murs élevés l'entouraient.
De cette prison, aujourd'hui, il ne reste que le pignon nord-est, la partie méridionale a été démolie pour faire place aux constructions du nouveau Palais-de-Justice, et il est bien à souhaiter que l'on se hate de démolir ce pignon, espèce de bicoque qui jure affreusement à c?té du plus beau monument public de la métropole canadienne.
A l'époque dont nous parlons, la prison de Montréal formait un parallélogramme long, composé de deux étages et d'un rez-de-chaussée.
Les deux étages étaient occupés par les simples délinquants; mais le rez-de-chaussée était affecté aux grands criminels. Ceux-ci étaient généralement parqués, deux à deux, dans des cachots vastes et assez bien aérés.
III
Si le lecteur consent à pénétrer avec nous dans l'un de ses cachots, au moment où les sentinelles s'envoient le mot d'ordre, il y trouvera deux prisonniers, avec qui nous aurons occasion de faire ample connaissance.
Malgré l'heure avancée de la nuit, les captifs ne dorment pas.
Bien au contraire, ils sont aux aguets, ils écoutent.
--Bon; le factionnaire est rentré dans sa guérite. Donnez-moi la lime, Mike.
Et l'individu apostrophé passe à son camarade une petite lime finement trempée.
Puis l'on per?oit un léger son, acre, régulier, monotone, mais qui se confond avec les plaintes des girouettes tournoyant sur leurs hampes oxydées.
C'est le frottement du métal contre le métal; c'est le grincement de l'acier mordant le fer.
Les prisonniers travaillent à leur évasion.
Une obscurité complète enveloppe la cellule; au dehors il pleut à verse.
--Est-ce fait, monsieur Alphonse?
--Pas encore. écoutez... on dirait que quelqu'un vient.
--Non, dit Mike, après une minute de pause. Vous pouvez continuer.
--Fini! s'écria bient?t Alphonse. Le barreau est scié. Il ne nous reste plus qu'à l'arracher. Prenons-le par le bas et tirons à nous. Chut! il me semble....
En effet, des pas sonores et cadencés résonnaient à quelque distance.
--La ronde, murmura Mike; tant mieux; il y aura maintenant moins de danger à craindre.
Les pas se rapprochèrent et s'éloignèrent lentement.
--A l'oeuvre maintenant! dit Alphonse.
Les prisonniers empoignèrent le barreau à pleines mains, et animés de cette énergie fébrile, qui décuple les forces dans les positions périlleuses, le descellèrent en deux ou trois secousses.
--Ah! nous sommes libres! dit Mike, en bondissant de joie.
--Silence! Le plus difficile n'est pas fait. Avez-vous des cordes?
--Voici.
--Sortons!
A cet instant, la sentinelle voisine criait:
--Numéro 1. Onze heures et demie. Rien ne bouge.
IV
La fenêtre du cachot était de niveau avec le sol de la cour, et défendue seulement par une croisée cadenassée, un treillis en fil d'archal et six barreaux de fer.
Forcer le cadenas, briser le grillage, n'avaient été qu'un jeu pour les prisonniers; on a vu de quelle manière ils s'étaient débarrassés du plus formidable obstacle.
Le premier, Mike, se glissa à travers l'étroite ouverture et mit le pied sur le préau; Alphonse le suivit de près.
Sans prononcer
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